Langue française malmenée - France Catholique

Langue française malmenée

Langue française malmenée

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Dans un journal gratuit un titre me frappe : « Adoptez la fun attitude ». Je dois d’avoir cette coupure sous mes yeux à Christian Immarigeon, ce frère qui ne supporte pas plus que moi que, dans les médias, l’on malmène impunément la langue française, notre patrie. Et mes yeux n’en croient pas ce qu’ils lisent ! La « fun attitude » qu’il me faudrait adopter doit, pour le moins, se révéler un sésame en vue d’un bonheur automatique, autrement écrirait-on avec cet impératif énergique : « Adoptez » ? D’où ma perplexité devant ce mot, « fun », que je dis ne pas connaître, que je ne veux pas connaître, et qui ne se trouve pas dans mon Littré pas plus que dans mon Robert et encore moins dans ce Petit Larousse qui me sert fidèlement malgré sa petite trentaine d’années !

Christian m’a envoyé quelques autres perles incompréhensibles, à croire que, dans leurs journaux, les publicistes aiment particulièrement écrire pour n’être pas compris. J’avais déjà observé maintes fois ce travers chez des gens soucieux de ne pas perdre leur temps si précieux lorsqu’ils s’adressaient à moi à la vitesse des aboiements de mitrailleuses…

Donc voici, découvert dans Aujourdhui, ce titre ahurissant que seuls des intellectuels de Cité classée en zone rouge, — il m’arrive d’en faire partie — peuvent comprendre : « Nous avons testé les bus low-cost de la SNCF ». Autrefois, cher lecteur, les bus d’Aujourd’hui se nommaient autobus, ce qui laisse de toute façon la syllabe bus quelque peu délicate à interpréter… Mon cher Petit Larousse explique au mot autobus que cette troisième syllabe est en fait l’abrégé d’omnibus accolé à l’abrégé d’automobile. Mais nulle mention du mot bus, qui doit donc être aussi un mot étranger… Ce qui gène, c’est que son pluriel ne peut pas exister…

De guerre lasse, je suis allé interroger l’Araignée : qui me renvoie sur Piocom, « le numéro un des véhicules événementiels », soit, selon Larousse, un adjectif désignant un quelque chose « qui se borne à la narration des événements »… Que voilà des véhicules intelligents ! Je pense que le propriétaire de ces véhicules devait penser « promotionnel »… La bataille quotidienne doit être de trouver les mots justes, car eux seuls permettent réellement de comprendre ce que veut nous dire celui qui nous parle. Et nous parle en principe pour être compris de nous.

Quant au low-cost des bus… Il se peut que, lorsqu’on nomme ce type de véhicules avec les mots d’une langue étrangère, les billets destinés aux usagers-mais-non-clients reviennent moins cher que si on disait banalement à « bas prix », expression que le journaliste utilise à bon escient dans le texte de son article. Je ne puis que l’en féliciter.

Le nombre de mots directement sortis de la poche des publicitaires et des journalistes s’accroit vertigineusement. Je n’en comprends qu’un sur dix. Je n’ai pas voulu comprendre ce que disait par exemple Laurent Ruquier quand il eut cette phrase curieuse que les bobos certes saisissent sans problème : « C’était assez punchy ».

Sur un autre fragment de journal je tombe sur l’horripilant « prime time », qui déconcerte d’autant plus qu’il faut le prononcer correctement c’est-à-dire en corrigeant son orthographe sinon on ne saisit pas ce qu’il veut exprimer : soit, après enquête au plus profond de moi-même, praïme et taïme, ce qui signifie, pour ceux qui savent l’anglais, soit bien moins de Français que ne le croit le ministère de l’Éducation dite nationale, « premier temps » pour les animateurs des chaînes de télévision ! Serait-il déshonorant, par hasard, de dire « début de soirée » ? Que oui, que bien sûr, cela va de soi ! C’est trop français et trop clair. Les idiots et les imbéciles, les simples d’esprit (j’en fais partie), les ignorants (j’en suis aussi) et quelques autres, soit presque tout le monde, même des pédégés, n’ont droit à aucune considération quoique payant rubis sur l’ongle la taxe perçue en principe pour soutenir les entreprises nationales de l’audiovisuel : en somme, ces animateurs devraient nous respecter assez pour n’oser plus défigurer notre langue de naissance, notre langue de culture, notre langue de famille.

Bois un peu d’eau cher lecteur, car il y a d’autres merveilles, même si je vais limiter ce catastrophique billet…

Dont celle-ci : « les motos vintage mettent les gaz », n’est-ce pas sublime ? Mais il ne s’agit pas de quelques bouteilles de chez Petrus : ce vintage est un ennemi comme le mot glamour en est un autre qui a, sans vergogne, phagocyté notre séduction !

Le collaborateur de Wikipédia a écrit ceci : « Vintage (Prononciation originale anglaise : [ˈvɪntɪdʒ]1 ou francisé : [vɛ̃taʒ]2) ou le millésimé3 désigne en œnologie le millésime – surtout attesté pour le porto – (le mot signifie en anglais vendange ou vin millésimé). Par extension dans la mode pour désigner un vêtement ou un accessoire ancien ou datant de l’époque où il a été créé, on parle d’habits vintages, millésimés ou rétros. La mode du « néo-rétro » allie à la fois un design vintage avec des performances dernier cri, notamment en matière de high tech. Etc.. » Très intéressant, même si je ne comprends pas tout comme aurait pu dire la spécialiste du comique Mme Anne Roumanov, qui répète sans cesse : « On ne vous dit pas tout ! ».

Je note dans l’explication donnée le mot œnologie, que presque tous les journalistes et autres parleurs des ondes prononcent eunologie, alors que la règle veut qu’on prononce énologie comme tous les mots dont le « e » pris dans l’« o » n’est pas suivi par le son « eu ». Et quand il est suivi par cet « eu », alors on dit bœuf ou œuf. (Je m’instruis fort en écrivant ce journal)

Une autre perle mais difficile à découvrir. Il s’agit de l’apprentissage de l’anglais au détriment de toutes les autres langues de l’Union européenne. Madame Maryline Baumard a écrit dans Direct Matin que « l’inégalité persiste face à la pratique de l’anglais ». Quand 95% des petits Français sont obligés, parfois le cœur navré, d’apprendre l’anglais en première langue, au lieu d’une autre, préférée mais qui ne peut venir qu’en seconde position, il est normal que tout ne soit pas identique dans cet univers bien particulier où existent des doués en langues et des nuls, dont je suis d’ailleurs sans m’en flatter… J’ai juste appris ce qu’il me fallait pour le bac et hop ! en l’air les livres d’anglais. Non que je mésestime cette langue, en laquelle écrivirent d’admirables écrivains, mais je ne parviens tout simplement pas depuis l’enfance à l’aimer. Jeanne d’Arc est restée en travers de mes cordes vocales, très sélectives depuis.

Dans le domaine de la culture, se laisser imposer quoi que ce soit par des puissants est d’avance à exclure, quitte à revenir en arrière si ce qui est proposé vaut la peine, et seulement. Et cela est nul qui met au rancart nos langues européennes. Hélas, avec le consentement résigné de nos gouvernants.

Cependant, d’autres raisons se sont ajoutées à celle-là : le fulgurant impérialisme économique développé par les puissances anglo-saxonnes, donnant à leur langue le rôle joué par les avant-gardes dans toutes les guerres, – aux États-Unis nombre d’études ont démontré que faire parler l’étranger en anglais était extrêmement productif, rentable à souhait, ce que les gouvernants de là-bas ont saisi sans une hésitation, ce que les gouvernants d’ici n’ont pas encore commencé à comprendre tant ils sont soucieux de nous voir au plus vite bilingues –, impérialisme qui a « pris » sur eux comme une confiture sur une chemise propre et nous englue dans une vénération d’ilotes.

Navrant cataclysme culturel qui secoue l’Europe depuis cette quasi imposition langagière qui ronge notre langue maternelle au point que l’on croirait parfois à une sorte de poudingue verbal… Mais quel cataclysme ? L’allemand, l’italien et l’espagnol, langues de nos plus proches voisins, c’est à remarquer, séparés de nous par des frontières virtuelles et non océaniques, voilà qu’elles ne sont plus proposées et enseignées qu’à une petite minorité d’élèves ! Bientôt, nous n’aurons même plus d’interprètes en ces langues, auxquelles il faut naturellement adjoindre le russe et le chinois, sans doute l’arabe et peut-être une langue de grande diffusion en Afrique. Non seulement nous n’apprenons plus l’italien, langue qui équilibre la nôtre – celle-ci je la vénère depuis toujours – mais nous allons commercer chez eux en… anglais !

Fabuleux ! Horrifique ! D’une bêtise si énorme que je ne parviens plus à trouver d’adjectifs adéquats : mais on trouve, avenue des Champs-Élysées, des doctrinaires qui vous soutiendront que c’est mieux ainsi, plus efficient parce que ne pas saisir que commercer en anglais avec un ultramontain ne peut qu’être plus efficace que lorsque l’on s’adresse à lui dans la langue de son gosier, de sa poitrine, de ses entrailles : de sa vie normale ! On me l’a déjà servi plusieurs fois cette soupe rétrograde, avalée telle quelle par des soumis d’avance. L’efficacité elle est du côté de la vie, et cette vie en Italie se passe en italien. Le commerce en fait partie. Il en va de même en Espagne qu’il faut labourer en espagnol, en Allemagne qu’il faut draguer en allemand, en Russie, qu’il faut explorer en russe. Un de mes anciens élèves, Marc Moreau, est parti depuis quelques années à Moscou, et quoiqu’il sache à peu près parler l’anglais c’est en russe, auquel il s’est appliqué sitôt arrivé, qu’il fait ses meilleures conquêtes ou affaires…

Nous savons tous que l’on veut faire de nous des petits singes ou robots anglomanes, capables de consommer sans modération tout ce qui sort des ateliers et des usines et des centres commerciaux gouvernés par une racaille d’hyper-financiers dont la seule langue est celle du dollar – bientôt celle du yuan ? – et la seule morale le profit : exerçons notre vigilance et notre capacité à nous indigner ! Nous ne sommes pas de simples clones, que diable !!!

Dominique Daguet