La tête dans les étoiles - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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La tête dans les étoiles

Traduit par Antonia

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Il y a quelques années j’ai entendu parler d’un homme qui avait décidé de naviguer en solitaire de San Francisco à Hawaï (ou peut-être le contraire). Un bien long voyage : plus de 2000 milles marins par la voie la plus courte. Il était athée quand il se mit en route. Après des semaines au contact des vents et des vagues, mais peut-être surtout, après avoir contemplé l’immense beauté de la voûte céleste étoilée au-dessus de sa tête nuit après nuit, dans un air pur, loin de toute pollution lumineuse, il était devenu croyant quand il toucha au port.

C’est peut-être une histoire vraie. La personne qui me l’a racontée est tout à fait digne de confiance. Et, comme on dit en Italie, se non é vero é ben trovato. Parce que, quoi qu’il en soit, elle exprime une vérité passée sous silence qui s’est imposée à moi pendant ce week-end, la période de pointe cette année pour les pluies de perséides.

Un prêtre m’a informé que, en des temps plus catholiques, ces pluies d’étoiles filantes portaient le nom de « larmes de saint Laurent » dont la fête est célébrée le 10 août. Les gens les observent depuis longtemps et leur histoire est… cosmique. Ces pluies ont été particulièrement denses cette année à cause de l’interaction de Jupiter avec la comète Swift-Tuttle. Et pas seulement cette année. Il y avait ces derniers jours dans l’atmosphère des traînées incandescentes émises périodiquement par Jupiter, au XIXe et au XXe siècles, et même, suivant les astronomes, dans une autre conjonction des planètes, vers l’an 1000.

Je m’efforce de me trouver dans un endroit éloigné et sombre (le mieux c’est le désert, mais une clairière dans une forêt convient aussi) au mois d’août, quand se produit cette pluie d’étoiles filantes la plus spectaculaire de l’année. Cette fois-ci, j’ai dû me contenter d’observer ce spectacle depuis ma terrasse.
Mais à moins de prendre de temps à autre la peine de vous rendre dans un endroit où on peut voir 200 étoiles filantes par heure ou bien, spectacle tout aussi impressionnant, les variations de la Voie Lactée au long de la nuit ou encore les milliers d’étoiles (une présence constante pour nos ancêtres) invisibles dans nos villes et nos banlieues très éclairées, vous ne sentirez pas toute la force du psalmiste : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ».

Saint Paul semblait penser que c’était une évidence. Au début de l’épître aux Romains, il écrit : «En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice. Car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’Il a d’invisible depuis la création du monde, son éternelle puissance et sa divinité se laissent voir à l’intelligence à travers ses œuvres, en sorte qu’ils sont inexcusables puisque, ayant connu Dieu, ils ne Lui ont rendu, comme à un Dieu, ni gloire ni actions de grâces. »

Les choses ont bien changé depuis le temps de l’Apôtre des Gentils. Pour des raisons difficiles à exposer, ce sont en général les scientifiques, surtout les non-croyants, qui célèbrent à grands cris la gloire des cieux. Ils voient dans la nature la grandeur que trop de chrétiens, enfermés entre quatre murs, ne se donnent pas la peine d’apprécier. Pas étonnant que nombre de gens trouvent l’astronomie formidable et le christianisme ennuyeux.

C.S. Lewis commence son génial petit livre The Abolition of Man [l’Abolition de l’homme] (que tous devraient lire et relire) par l’histoire de deux farouches anti-cléricaux qui essaient de « rationaliser » tout ce qu’il y a de grand dans la nature. Dans un manuel scolaire, ils invitent instamment les élèves à comprendre que, par exemple, qualifier une cascade de « sublime » c’est exprimer un point de vue purement subjectif : quand je regarde cette eau cascadant sur les rochers, j’éprouve des sentiments sublimes. Ce que Lewis nie avec force. Dire à la vue du spectacle de la nature que « c’est sublime » doit s’entendre au sens littéral. Une cascade, un phénomène naturel, est, apprécié à sa juste valeur, proprement sublime.

Il suffirait que nous sortions un peu de notre quotidien, qui ne s’inscrit pas dans le cadre de la Création, à la différence de celui de la plupart des générations précédentes, pour nous guérir en grande partie de maux que nous considérons comme purement intellectuels. Il n’y a eu (et il n’y a) que peu d’athées parmi les gens en contact étroit avec la nature. Quand Karol Wojtyla n’était encore que professeur de philosophie en Pologne, il avait un collègue qui était un athée convaincu – quand il était assis à son bureau. Quand il partait en randonnée avec le futur Jean-Paul II dans les Tatras, sous le coup d’une obscure symbiose entre l’homme et la nature, il se sentait devenir croyant. Pour autant que je me rappelle, aussi improbable que cela puisse paraître, il aurait été plusieurs fois le jeu de cette alternance.

Etrange, certes, mais guère plus étrange que l’attitude de ceux qui déclarent croire dans le Créateur, mais ne prennent pas la peine de s’intéresser à ce qu’il a créé.

Les philosophes et les théologiens parlent quelquefois du « désenchantement » de la nature. Mais il en existe deux types.

Le premier a débarrassé le monde des croyances païennes qui divinisaient le soleil, la lune et les étoiles. Les premières pages de la Genèse abolissent ces croyances d’un trait. Mais l’autre type de désenchantement (qui est désastreux) découle de la science moderne et de son dérivé bâtard, le matérialisme, renforcé par une conception technologique du monde, comme si la nature était simplement un réceptacle de matière et d’énergie à utiliser comme bon nous semble, même pour nous refaçonner nous-mêmes.
N’en déplaise aux fanatiques bien intentionnés de l’environnement, la nature n’est pas notre mère et la Terre n’est pas la déesse Gaia. Mais, comme les anciens chrétiens orientaux avaient l’habitude de le dire, la Création est « le second livre » de Dieu, après la Bible. Deux « livres » donc, pour nous guider. Le premier pas étant l’admiration des splendeurs qui méritent qu’on les étudie.
Dans Laudato si’, le pape François a parlé de la charge imposée à la nature par notre « culture du déchet » et des activités humaines comme l’exploitation minière et l’agriculture, voire (au grand étonnement de beaucoup) l’utilisation de climatiseurs. Et a invité à procéder à de nombreux changements. Vous pouvez, si vous êtes du genre intrépide, vous lancer dans des débats sur ce qu’on entend par respect de la Création – y compris de la créature que nous appelons l’homo sapiens, dans un excès d’optimisme.

Mais vous pourriez d’abord sortir de chez vous. Et ouvrir les yeux.

Lundi 15 août 2016

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/08/15/star-struck/

Photographie: Les cieux racontent la gloire de Dieu

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith&Reason Institute de Washington.