La reconnaissance - France Catholique
Edit Template
Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
Edit Template

La reconnaissance

Traduit par Pierre

Copier le lien

Jetons un coup d’œil sur cette qualité en voie de disparition — la reconnaissance. Essayons de distinguer ce qu’il faut pour que la reconnaissance redevienne possible.

Tout d’abord: on ne peut éprouver de la reconnaissance qu’envers une personne. Reconnaissance et attente ne sont concevables qu’entre « moi » et « toi ». On ne remercie pas une loi, un organisme, une entreprise. On peut, par simple politesse, remercier en recevant la somme d’argent attendue, que tout se passe entre gens de bonne compagnie, mais la véritable reconnaissance ne se trouve pas dans ce domaine, elle est l’expression d’une réponse à un besoin humain.

Pensons à deux pesonnes, l’une possède ou peut acomplir quelque chose que l’autre n’a pas ou ne peut faire — les voici l’une devant l’autre. À la demande de l’une l’autre est prête à répondre, l’une donne, l’autre remercie, et toutes deux sont unies par un lien humain. La gratitude, rendue possible, devient un fondement de communauté.

De plus, la reconnaissance n’est possible qu’en toute liberté. Je n’ai pas à éprouver de reconnaissance parce que le soleil se lève chaque matin : je ne suis pas reconnaissant. Par contre, dans la splendeur d’un matin lumineux je peux éprouver de la reconnaissance devant un spectacle aussi puissant et merveilleux. Mais c’est la réponse de l’homme à Celui qui a tout créé, ou bien le résultat, à son époque, où le soleil était révéré comme une divinité.

Je n’ai pas à remercier quand je reçois mon dû. Si j’achète quelque chose, je ne remercie pas à sa réception, je signe simplement « reçu en bon état.» Si j’ai conclu un accord pour qu’une personne effectue un service pour moi je n’ai pas à remercier, simplement à constater la bonne exécution — le reste n’est que politesse.

La véritable reconnaissance ne peut exister que dans le domaine de la bonne volonté. Plus les affaires humaines deviennent automatiques — régulation du trafic, règlementation du travail, obligations légales, etc… — moins il reste place à la réponse spontanée où c’est le cœur qui dit « merci.», mais il en reste à la réponse toute crue « c’était mon dû.»

Voici une troisième condition à la reconnaissance: celui qui donne doit le faire respectueusement pour ne pas heurter celui qui reçoit; on risquerait de le blesser dans son amour-propre. On ne donne pas avec indifférence, avec condescendance, ni en faisant par son don étalage de son pouvoir. Les acteurs de l’action sociale courent un risque: faire sentir une supériorité à celui qui est dans le besoin, et attendre des remerciements chargés de faiblesse.

La reconnaissance est donc bien difficile. Faire sentir, en donnant, une quelconque supériorité aboutit à tuer la reconnaissance, remplacée alors par l’humiliation et le ressentiment. Combien de donateurs mériteraient qu’on leur jette leurs dons à la figure.

Ainsi donc, nous trouvons trois conditions fondamentales. La reconnaissance ne peut s »établir qu’entre un « moi » et un « toi ». La reconnaissance disparaît dès que s’efface la qualité de la relation personnelle au profit des apparences. La reconnaissance ne peut exister sans liberté. Elle ne peut exister avec des devoirs, des obligations. La reconnaissance ne peut exister sans courtoisie. Sans respect mutuel la reconnaissance ne peut être, elle cède la place au ressentiment. Ceux qui apportent leur aide à autrui devraient y songer. Seule l’assistance rendant possible la reconnaissance mérite ce nom.

Demander et recevoir, recevoir et remercier en toute sincérité, c’est magnifique, et humain, au sens profond de l’expression. Il s’agit de se tenir ensemble dans nos besoins. L’un possède, l’autre, pas, l’un peut agir, l’autre pas. Demain, ce sera peut-être l’inverse…

Qui sait combien de ce discours peut être ramené à Dieu? Qui sait — si l’on peut dire —ce qu’éprouve le Seigneur quand non seulement nous agissons bien envers Lui, mais aussi Lui montrons notre amour, quand, tout-petits, nous tentons d’être généreux à Son égard? Alors sentirons-nous peut-être, vaguement, brièvement, ce qu’est la reconnaissance; et donc un peu de son mystère. Mais un jour Il nous montrera comment Il a reçu notre offrande, ce sera pour nous une bénédiction.

27 novembre 2014.

The Virtue of Gratitude

Gravure : Action de grâces en Floride, 1585.