La petitesse de l'immense - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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La petitesse de l’immense

Traduit par Bernadette Cosyn

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Précisément la plus minuscule petite chose : Jésus-Christ couché dans la mangeoire. Ceux qui ont déjà tenu un nouveau-né dans leurs bras savent combien ils sont délicats. Sans une parole, cette fragile créature nous dit d’être précautionneux avec elle. Son cou est faible, il faut maintenir sa tête. Votre attention se fixe sur ses paupières, sa bouche et son nez miniatures.

L’une des raisons pour lesquelles je crois en Dieu – le véritable, universel et trinitaire – est son sens du paradoxe. Cela me frappe comme conforme à ma propre expérience de l’univers où nous résidons, qui est plein à craquer de renversement d’échelles.

Le Christ serait vraiment le Créateur de l’univers, j’attendrais de Lui qu’il manifeste le même « sens de l’humour » – évidemment, je ne veux pas dire par là « qu’il raconte des blagues ». Ou peut-être qu’il y a des blagues bien plus profondes que le rire.

Cela commence avec l’immensité des cieux : la perception humaine de la distance d’avec les étoiles, et des étoiles entre elles. (C’est un mythe de penser qu’aucun de nos ancêtres se soit imaginé qu’elles étaient proches. Indépendamment de leurs schémas cosmologiques, tous les hommes ont su que les étoiles étaient extrêmement lointaines et qu’elles parlaient d’immensité.)

Mais à l’autre extrême, il y a l’échelle sub-atomique. Elle semble parodier l’immensité dans le microscopique. Il y a des particules à l’intérieur des particules, et encore des particules à l’intérieur de celles-ci, plus loin que les bosons et les fermions. Nous trouvons la Singularité là où, si la physique a quelque cohérence, nous avons atteint l’interface avec le « rien ».

C’est-à-dire, il ne peut pas y avoir plus petit, dans tout schéma matériel de la petitesse, pour la même raison que l’univers ne peut pas être plus vaste. Du moins pas tel que nous l’avons trouvé. Nous pouvons dérouler la suite des nombres à l’infini dans un sens croissant ou dans le sens décroissant – dans chaque cas nous arrivons à cette dure Singularité matérielle. Si nous allons suffisamment loin dans l’une ou l’autre direction, nous ne sommes plus dans cet univers.

Alors où sommes-nous sur cette échelle ?

L’homme, comme étalon de mesure, est juste au milieu, à mi-chemin entre le « tout » et le « rien ». Dans les nombres que nous avons été capables de compiler, notre position est assez exactement à l’intersection des routes.

Comme nous sommes venus à l’apprendre, essentiellement dans un récent passé, l’étrangeté est insupportablement grande, pendant que l’univers lui-même est soumis à plusieurs douzaines – peut-être plusieurs centaines voire bien plus – de lois physiques bien précises. Changez un tant soit peu le réglage, rien qu’un peu, de l’une de ces lois, et c’est la possibilité même de l’existence de l’homme qui est effacée.

Bien sûr, l’observation est tautologique, mais même en cela, nous voyons la main de Dieu : Il nous a octroyé la liberté de voir, ou de refuser de voir, ce qui crève les yeux.

D’une manière purement et uniquement scientifique, l’existence de « Dieu » est irréfutable depuis 1931 au plus tard. C’est l’année où la finitude de l’univers a été établie au-delà de tout doute raisonnable : il a une origine, un début qui peut être calculé dans le temps, il a de ce fait une dimension qui peut être calculée, et ce qui a une origine doit avoir une fin (voyez Georges Lemaître à ce sujet).

Et vers la fin du siècle passé, à la fin des années 90, la trace maîtresse fut fournie pour calculer cette fin. Car non seulement nous savons que l’univers est en expansion, mais aussi qu’il se dilate avec une accélération croissante. Nous atteindrons forcément le point où l’univers sera confronté à la bonne vieille vitesse de la lumière : de nouveau, encore une Singularité.

Une petite chose peut-être, ainsi que ce physicien belge de talent, Monseigneur Lemaître, a dû l’expliquer au pape de l’époque, qui s’apprêtait à déclarer que la cosmologie catholique avait été scientifiquement prouvée. Ainsi que l’a dit le bon prêtre, ce n’est que de la science, qui tire ses élucubrations. Passer de deux plus deux à quatre demandera toujours le secours de la Foi.

La science ne fait que nous montrer ce qui est là, non ce que cela signifie. Pourtant la nature de l’univers demeure claire à voir, que ce soit à l’échelle cosmique ou dans les petits faits biologiques perceptibles à nos sens. Le gland et le chêne sont un, à jamais. Que ce soit à travers un télescope ou un microscope, nous voyons la même chose dans l’objectif, obscurément.

L’homme moderne peut regarder l’immensité comme le minuscule. Il n’y a rien de défectueux dans les yeux que Dieu nous a donnés, nous devrions souhaiter en faire usage, ni dans la cécité, grâce à l’oeil de l’esprit. Rien n’a été caché à l’homme de ce qu’il a besoin de connaître. Mais il est si obstiné !

Ce que l’homme moderne a de la difficulté à percevoir, c’est le grand dans le petit et le petit dans le grand. Notre ignorance – ce qui peut être stupéfiant, en regard de l’ignorance des siècles passés – s’attache à une chose à la fois, avec une amplitude toujours plus réduite. Il en résulte que nous avons perdu la faculté de regarder et de penser en même temps.

Et pour l’esprit moderne, comme pour d’autres avant lui habitués à passer à côté de l’essentiel, toute l’idée de Dieu présenté dans ce petit paquet de chair humaine emmaillotée est un non-sens. Dieu, au cas où Il existerait, devrait être infiniment grand ; ce bébé est bien trop petit.

Un Dieu véritable prendrait tout ce qu’Il voudrait ; ce bébé n’a même pas une auberge pour s’abriter.

Un Dieu véritable verrait tout ; ce bébé dort dans les bras de Marie.

Un Dieu véritable arriverait avec des armées d’anges ; ce bébé n’a même pas un garde de corps…

Nous pourrions bâtir toute une litanie sur les manières démontrant que Jésus-Christ n’était pas très crédible. Même pour beaucoup d’anciens, nous le savons, cette idée de Jésus tenait de la plaisanterie. Les chrétiens n’étaient sûrement pas sérieux.

Imaginez leur surprise quand, paradoxalement, ce petit bébé a conquis leur monde.

Illustration : Mgr Lemaître en compagnie d’Albert Einstein, en 1932

David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et est journaliste à Ottawa Citizen.

Source : http://www.thecatholicthing.org/2014/12/27/smallness-large/

Photo : Mgr Lemaître avec Albert Einstein, c. 1932