La nouvelle encyclique: Laudato Si - France Catholique
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La nouvelle encyclique: Laudato Si

Traduit par Bernard Gruet

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Avant même d’être publiée, l’encyclique du pape François sur l’écologie a été l’objet d’objections partisanes. Ce qui est bien malheureux, pour diverses raisons, la moindre n’étant pas le risque de perdre en arguties ce qui est le plus important, magnifique, au coeur de l’inspiration de ce texte: sa conception intime de la nature vue comme une création divine: « Tout l’univers dans sa forme physique exprime l’amour de Dieu, son affection sans limite pour nous. La terre, l’eau, les montagnes: tout semble être une caresse de Dieu » (84)

C’est un genre qui correspond à ce que les papes -particulièrement celui-ci – font de mieux. Leurs idées en matière de science, de politique, d’économie, d’écologie ont bien une certaine valeur, mais leurs principaux apports relèvent du domaine des valeurs fondamentales.

Sur ce plan, François s’oppose à une attitude philosophique de notre culture qui date du temps de Francis Bacon, lequel faisait observer que nous devrions complètement asservir la nature …pour le bienêtre de l’espèce humaine. Ce n’est pas vraiment une façon de penser chrétienne, ni même humaine à l’égard des créatures que nous sommes. Descartes nous livra quasiment le même discours: nous devrions devenir « maîtres et possesseurs » de la nature. Mais nous ne sommes ni les uns ni les autres. Nous sommes serviteurs, et la seule personne qui puisse prétendre « posséder » la nature est le Créateur Lui-même.

Ceci est le fondement de la vision qui anime la réflexion du pape sur les questions écologiques actuelles: si nous voulons être sérieux en recherchant ce qui pourrait être bon pour notre « écologie humaine », notre inquiétude doit s’appliquer à notre propre relation à l’égard de toutes les créatures et toute la création. La Genèse, contrairement à ce que disent d’autres religions à travers le monde, affirme que « c’était bon », que le monde physique nous aide à connaître le Créateur, sans cependant diviniser la nature elle-même.

Des écologistes laïques et des journalistes n’y attacheront pas l’importance voulue, mais le Saint Père insiste à diverses occasions sur un point essentiel de sa conception : que l’avortement, les moyens coercitifs de contrôle des naissances, les recherches expérimentales sur l’embryon et autres atteintes à la sainteté de la vie, tout cela relève de la même démarche sinistre à l’égard de notre monde, dont les écologistes déplorent pourtant le dérèglement.

Voici un sujet critique et original, c’est sûr; mais nous pouvons être certains que les médias se concentreront davantage sur d’autres points car, il faut le reconnaître, le Saint Père abonde grosso modo dans le sens de ce qui peut être considéré comme les points de vue des écologistes les plus extrêmes.

L’un des intervenants à la conférence de presse de ce jour (18 juin), à Rome, était John Schnellhuber, un Allemand athée, qui affirmait que les Etats-Unis devaient réduire à zéro leurs émissions de CO2 d’ici à 2020 (totalement impossible) et que nous devons réduire la population mondiale à hauteur de ce que la terre peut supporter, soit une réduction d’un milliard (ce qui impliquerait des outrages à l’espèce humaine). Il est probable que François n’approuve pas cela; mais il considère comme urgent ce qui est évident : un changement climatique catastrophique est en cours et les nations du monde, chacune pour sa part et toutes ensemble, doivent prendre des mesures draconiennes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Ses recommandations comprennent toutes sortes de choses, de la réorganisation de fond en comble de l’ordre économique mondial et des accords rigoureux relatifs aux gaz à effet de serre, jusqu’à des sujets domestiques ou de comportement tels que l’utilisation extensive de conditionneurs d’air ou le fait que le monde entier doive adopter un style de vie plus ascétique.

Ce que vous pensez des solutions ainsi proposées dépendra beaucoup de l’idée générale que vous pouvez avoir de la question du changement climatique. Un sondage récent (Pew) a révélé que les catholiques américains étaient divisés à ce sujet, leur division correspondant principalement à leur proximité avec tel ou tel parti politique: 64 % des catholiques « Démocrates » pensent que le réchauffement climatique est un problème très grave; mais seuls 24 % de « Républicains » sont de cet avis. Quant aux « Indépendants », ils en sont à environ 50/50.

De nombreux journalistes se sont demandés si la publication de l’encyclique aurait pour effet d’affecter notre politique, particulièrement en ce qui concerne les élections de 2016. La plupart des gens ont déjà tiré leurs propres conclusions sur ce genre de question. Et on peut parier que l’encyclique n’y changera vraisemblablement rien.

Certains Démocrates ont raillé les catholiques Républicains, en les traitant de « Catholiques de salon » à propos d’écologie. Mais ceci n’est pas honnête. Quand l’Eglise interdit l’avortement, elle énonce un principe moral absolu. Quand un pape critique l’usage de conditionneurs d’air ou de mercure dans les mines d’or (François fait les deux), cela relève de mises en garde recommandant la prudence. Et ses recommandations les plus générales relatives aux réformes globales doivent trouver leur application dans un monde complexe. Entre conflits d’intérêts nationaux et urgences humanitaires, il s’avère impossible d’arriver à concilier jugements moraux catégoriques et compromis internationaux.

Encore au sujet de la Genèse, le texte fait apparaître une petite idéalisation théologique. La nature, telle que Dieu l’a créée -et non comme nous avons parfois imaginé qu’il l’avait créée- n’est pas une pure harmonie et n’a jamais été décrite ainsi contrairement à la façon dont les écologistes la décrivent souvent (François le confirme).

Un savant présente la nature comme une « somme d’harmonies discordantes ». Nous savons que tremblements de terre, tsunamis, pestes, sécheresses, grandes éruptions volcaniques, glaciations, changements climatiques brutaux etc. ont tous appartenu à la structure de notre planète bien avant que les êtres humains y fassent leur apparition. Et cela continue. C’est un fait: l’existence de tels « malheurs naturels » est souvent citée par des agnostiques comme preuve que le monde n’est pas la création d’un Dieu « bon ».

Ce mystère du « Mal naturel » n’est pas commenté dans l’encyclique et peut conduire à se faire une opinion un peu faussée de l’activité de l’homme. Loin d’être toujours une affaire de cupidité, le développement de technologies et d’industries modernes – bien que celles-ci fussent et soient encore souvent fort laides
– a d’abord cherché à remédier à la pauvreté, à corriger les épreuves imposées par la nature et à répondre aux besoins humains essentiels.

Personne aujourd’hui ne met en doute que d’anciens types d’industries, non modernisées, dont nous ne pouvions pas penser qu’elles pourraient porter préjudice au monde entier, ne peuvent plus continuer sans porter un grave préjudice à la nature et à l’humanité. Mais les problèmes climatiques et écologiques ne sont pas seulement dus à ce type d’erreur humaine; c’est aussi notre comportement à l’égard de la nature qui est en jeu.

La volonté de défense idéale de la nature rend notamment encore plus difficile de traiter l’état de détresse des pauvres du monde, préoccupation capitale de tous les papes récents. Laudato Si souligne bien nos obligations à l’égard de ces pauvres autour du monde, qui seraient terriblement frappés par un brutal changement climatique: ceux qui vivent dans des zones côtières basses très vulnérables à l’élévation de niveau de la mer, ceux dont l’alimentation en eau serait interrompue à cause de climats plus secs ou de progrès de désertification etc. Le monde entier, naturellement, aurait la responsabilité morale de les protéger et de les secourir.

Mais l’encyclique ne parle pas d’une foule immense de pauvres -au moins 2 milliards et demi- à travers plusieurs continents, qui ont tout simplement besoin de développement: eau propre, électricité, gouvernements stables capables d’améliorer leur sort et de les aider à faire face à ce que la nature -ou un changement climatique- peut leur infliger.

Il est beaucoup question de dénoncer la « finance » et la « technologie » dans l’encyclique, et bien moins de la reconnaissance due aux progrès réalisés par le marché (si correctement contrôlé) et par la globalisation. Ces progrès, conjugués avec l’innovation technique et une meilleure compétence mise à l’appliquer, ont déjà sorti des centaines de millions d’êtres humains de la misère la plus sombre. Et ils continuent à agir ainsi.

La pensée sociale catholique a tendance à dénoncer le « capitalisme », comme si toute activité économique n’obéissait qu’à une simple logique de marché, de profits à court terme et de cupidité. Des hommes d’affaires sérieux et honnêtes auront le sentiment qu’ un ou deux paragraphes de l’encyclique qui concèdent une certaine valeur à l’activité économique se perdent au milieu d’une foule de pages de critiques. Le monde a besoin de beaucoup plus de femmes et d’hommes consciencieux dans ce monde économique, à la fois pour le bien des déshérités et pour l’environnement.

Il n’est pas surprenant que le Saint Père n’ait pas trouvé la réponse idéale aux questions d’environnement, personne d’autre d’ailleurs ne l’a trouvée. Mais il a peut-être fait mieux. En filigrane dans le texte on trouve une vision spirituelle de la Création inspirée par Romano Guardini, Saint Jean-Paul II, Benoït XVI et d’autres, qui nous engage à mieux appréhender ces questions et a mener nos vies d’une façon plus intégrale dans ce monde. Ceci est déjà en soi une magnifique contribution à notre approche de l’écologie.

18 juin 2015

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/06/18/the-new-encyclical-laudato-si/

Robert Royal est rédacteur en chef de « The Catholic Thing » et président du « Faith & Reason Institute » (Foi et raison), à Washington D.C.