La loi et l’ordre - France Catholique

La loi et l’ordre

La loi et l’ordre

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Je lisais naguère plus d’informations que je ne le fais maintenant. C’était logique puisque j’étais critique de journal – un métier pour lequel on doit au moins prétendre savoir ce qui se passe. L’apparence est assez facile à créer ; la réalité est un peu au-delà de l’aspiration humaine.

On ne sait pas, et on ne peut pas savoir, ce qui va se passer. Cela devient évident lorsque l’on examine de près chaque évènement. Ça donne une idée de la nature de l’histoire, que l’on peut appeler le « récit historique ». Celui-ci contient plus de faits qu’on ne peut en vérifier, de sources qui se tiennent raisonnablement, à la manière des tombes (jusqu’à ce qu’elles disparaissent). Mais l’histoire ne « s’écrit pas elle-même » et le lecteur est complètement soumis au jugement propre de l’historien, tout comme il est à celui du romancier lorsque ce dernier raconte une fiction.

L’historien a l’avantage du temps sur le journaliste. Une fois que les choses cachées sont ouvertes aux investigations. Le journaliste a l’avantage parce que, dans certains cas, il est vraiment sur place. Je pense que l’avantage du journaliste (s’il veut le saisir) est sous-estimé.

Tel un pirate, qui a voyagé, ce point m’a été souvent rapporté. Avant d’arriver dans quelque ville étrangère, où je ne suis jamais allé auparavant, je peux lire des livres, des articles, des guides de voyage. Avant d’arriver, j’ai une idée du paysage, de l’aménagement urbain, de la « culture ».Quelques heures, voire quelques minutes après le poser, toutes ces informations peuvent être jetées. « Être là » fait toute la différence, comme la différence entre lire à propos du goût de quelque chose, et mettre cette chose dans sa bouche.

« Jetées » est une exagération. L’information continue d’être utile. Je peux l’utiliser, par exemple, pour trouver mon hôtel, également pour mettre des noms sur les choses. Les photos ne mentent pas, pas beaucoup. Un immeuble ressemble à ce qu’il était sur une photo récente, lorsqu’on le voit sous le même angle. La personne que l’on interroge ressemble (souvent) à sa bouille.
En Israël, où la sûreté est importante, on doit parfois passer vingt ou même trente minutes à discuter avec un officier avant de passer. Il ou elle va montrer un intérêt extraordinaire, sinon étrange, à la vie et à l’époque de l’impétrant. On peut en être flatté. Le passeport est consulté, scruté, et la photo qui s’y trouve est affectueusement examinée.

L’officier regarde la photo, vous regarde, revient à la photo. Comme si elle n’est pas sûre, elle répète l’opération, sa tête s’ajuste pour apprécier l’angle et l’éclairage, comme un étudiant en art. Je pense à une qui m’a demandé une fois de lui sourire, puis de me renfrogner. Je n’en ai pas pris ombrage, j’ai apprécié l’attention.

Même les empreintes digitales nécessitent un second examen et, comme nous l’avons douloureusement appris dans les tribunaux, la preuve par l’ADN peut être peu fiable. Il faut l’interpréter, un processus logique doit être appliqué et on doit faire avec un faisceau de probabilités. Quelquefois, les résultats n’ont pas de sens. On en revient au point de départ.

Tout cela est nécessaire pour s’appesantir, parce qu’avec l’effondrement de l’éducation et l’extension de la suffisance, les petites choses sont souvent négligées. De plus, la facilité de parole est comme inscrite dans le code génétique ; je pense que c’est un aspect du péché originel. Nous pensons savoir. Mais nous ne savons pas. La chose qui semble la plus évidente est soudain jetée aux orties. Combien de fois j’ai cru que je connaissais quelqu’un et pourtant, il est apparu que je ne le connaissais pas du tout.
David Warren

La « ruée vers le jugement », je la classe d’habitude sous le terme « bagou ». C’est une ruée où il n’y a pas vraiment d’urgence. C’est compréhensible parce que, même en allant au magasin du coin pour aller chercher, disons, du lait ou des pommes de terre, il faut présumer de beaucoup, beaucoup de choses. Nous n’avons pas le temps d’examiner de manière philosophique chacune des prémisses sur lesquelles nous travaillons.

Peut-être que la vie, examinée isolément, vaut le coup d’être vécue mais si tel est le cas, nous sommes dans une impasse. Car il est très difficile d’examiner la vie. Nous devons faire des jugements – comme tout bon catholique doit le savoir en faisant la queue pour le confessionnal – sur ce qui mérite un examen approfondi. Quelque chose de grand extérieurement peut être sans conséquence, quelque chose peut avoir de l’importance, qui est petit d’apparence. Par contre, une très grosse chose peut être « psychologiquement évitée » parce que la honte elle-même est une forme d’aveuglement, et que notre peur de l’humiliation est plus grande que notre peur de la douleur.
Une fois, j’ai essayé de lire Michelet. A cette époque, j’étais jeune et impressionnable. Il peut être exaltant dans ses phases d’études du Moyen-âge et de la Révolution. L’un parle contre l’autre. C’est un « enthousiaste ». C’est lorsqu’il écrit des balivernes qu’il est le plus inspiré.

Ainsi qu’Owen Chadwick l’écrit de Michelet, et de Lecky, son homologue anglais (dans The Secularization of the European Mind in the Nineteenth Century, un livre qu’il faut lire), les faits n’ont pas d’importance. Au lieu de quoi, ce que la plupart de leurs contemporains en retiraient était les attitudes. Les faits pouvaient changer, et ont changé à mesure que les recherches historiques continuaient, mais l’interprétation des faits était adaptée à de tels lecteurs, qu’ils soient de première ou de seconde main.

Prenez par exemple la prise de la Bastille. Nous le savons aujourd’hui, chaque détail du conte de Michelet est non seulement faux mais invraisemblable. C’est de l’imagination, en laquelle Michelet lui-même croyait peut-être, qu’il élevait au statut de mythe : le mythe fondamental de la tyrannie renversée. Combien cela en a inspiré, à la tyrannie et aux massacres.

Combien cela continue-t-il à en inspirer, ainsi que nous l’avons vu dans l’adulation des médias des Révolutions Oranges et du Printemps Arabe, et de toute autre itération de « la démocratie dans la rue » ? Encore et toujours, on découvre, lorsqu’on regarde les évènements dans le calme et avec du recul, que les faits étaient… non conformes avec ce qui en a été rapporté.
La loi et l’ordre – la justice – nécessite ce calme : une certaine chasteté émotionnelle dans « un champ connu d’inconnues ». Si ce n’est pas enseigné, ce n’est pas appris. Nous vivons en un temps où ce n’est pas enseigné.

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Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/06/10/law-order/

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David Warren est un ancien éditeur du magazine Idler (« Le flemmard », ndt) et un journaliste à l’Ottawa Citizen. Il a une grande expérience du Proche et de l’Extrême Orient. Son blog, Essays in Idleness (« Essais dans l’oisiveté », ndt) se trouve à présent à l’adresse davidwarrenonline.com.