La fausseté - France Catholique

La fausseté

La fausseté

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Éclairage : l’auteur mène sa réflexion en partant d’un fait-divers dans le monde sportif. L’une des idoles du football américain (le seul football digne de ce nom pour tout Américain qui se respecte), le quaterback Tom Brady, a été suspendu pour tricherie. Il aurait demandé à ce que les ballons soient moins gonflés que ce que préconise le règlement. Une astuce pour cela : gonfler le ballon avec de l’air chaud. Juste après gonflage, la pression semble bonne, mais une fois refroidi, l’air se contracte et la pression diminue. Le ballon, plus souple, est alors paraît-il plus facile à bloquer.

Le ballon de foot « dégonflé » fait maintenant partie de la légende sportive. Les solutions proposées — « tout le monde utilise le même ballon » ou « laissez chacun mettre autant d’air chaud qu’il veut dans ce fichu truc » — sont un problème de règles qui doivent être précisées plus rapidement dès qu’un problème se pose. Le problème avec le quaterback Tom Brady n’était pas vraiment l’adéquation de sa punition. Le problème était : l’équipe et le joueur étaient-ils au courant et trichaient-ils ? S’ils le savaient et refusaient de le reconnaître, les affirmations comme quoi rien ne clochait étaient fausses.

Dans l’hypothèse du mensonge, si la vérité avait été simplement admise, peu en auraient demandé plus. Beaucoup de gens auraient admiré la franchise de reconnaître : « J’ai trafiqué les ballons que nous avons utilisés ». Mais si c’était vrai mais nié, nous avons le problème qui exaspère le monde du sport. En gros, l’intégrité des matches est en jeu. Le respect des règles connues est attendu des joueurs, des entraîneurs, des patrons, des arbitres et des fournisseurs d’équipements sportifs.

Le ballon « dégonflé » n’est pas la plus grande aberration à laquelle le monde sportif ait à faire face. Ce serait plutôt de ne pas dire la vérité lorsque exigé qui est la grande aberration. C’est une question de réputation. Même dans un monde relativiste, chacun reconnaît sa force. Quelqu’un peut dire la vérité et cependant tout le monde croit que ce qu’il dit est faux. Il est aussi possible de ne pas dire la vérité. Un tel mensonge oblige les autres à prouver que nous ne sommes pas malhonnêtes. Les rencontres sportives dépendent de règles et de leur observance. Dans ce sens, elles sont plus claires que la vie elle-même en ce qui concerne les conséquences du non-respect des règles. Cette clarté est la vraie raison de notre fascination pour ces rencontres sportives.

Le mot fausseté provient du participe passé du verbe latin fallere, qui signifie simuler ou tromper. Il en vient donc à signifier le contraire de la vérité. Une « fausse » fenêtre est peinte pour ressembler à une fenêtre. Vous ne pouvez pas en faire usage pour pénétrer dans la maison parce que, en réalité, c’est un panneau de bois. Ce qui n’est pas vrai est donc ce qui est faux. La phrase « il m’a menti » rajoute la notion que nous avons à dire la vérité, tant à autrui qu’à nous-mêmes. Je veux dire par là que nous devons dire ce que nous pensons être la vérité.

Les mots font références à des choses précises. C’est pour cela que nous en avons tant. Les mots ne sont pas de simples arrangements de lettres, sans signification, ne faisant référence à rien. Mes mots sont prévus par nature pour conduire les esprits vers ce qui est, vers ce que ces mots signifient. De même, ceux qui les écoutent attendent qu’il en soit ainsi. Sinon, il n’y aurait vraiment aucune raison d’écouter qui que ce soit, si les mots ne faisaient référence à rien, ou faisaient référence à un contenu changeant.

Presque tout le monde a entendu la fameuse phrase : « Vérité, vérité, et il n’y a pas de vérité ! » Bien entendu, si cette affirmation était vraie, la fausseté n’existerait pas non plus. La notion de fausseté vient de la notion que la vérité existe mais peut être dissimulée. Cela signifie que la personne qui dit quelque chose de faux sait ce qui est vrai, mais choisit de refuser de le reconnaître. C’est pourquoi elle est coupable de mensonge. Le même phénomène se rencontre en politique.

La fausseté n’est pas la même chose que l’erreur. Si je fais une erreur à propos de quoi que ce soit, il n’en découle pas que j’ai menti. Je suis peut être sot ou lent d’esprit. Je ne connais tout simplement pas les arguments ou les preuves qui manifestent la vérité. Cette différence entre erreur et mensonge explique pourquoi nous sommes exhortés à suivre une conscience « erronée ».

Ce n’est pas que ce soit un bien qu’une déclaration qui ne soit pas objectivement vraie. C’est parce que nous soutenons le bien qui nous garantit que nous n’avons pas de conflit en nos âmes entre ce que nous pensons être la vérité objective, ce que nous en disons et notre façon d’agir. Et même si je fais ce que je crois être vrai, si cela ne l’est pas, les conséquences mauvaises de mon acte erroné s’en suivront. J’en suis responsable. Le fait que de mauvaises conséquences découlent d’actes mauvais, même effectués de bonne foi est une nouvelle preuve qu’il existe un monde objectif et non tel que nous voudrions qu’il soit, que cela nous plaise ou non.

Nous pouvons affirmer qu’une chose est vraie alors qu’elle ne l’est pas. Que la fausseté soit possible est très révélateur. Cela indique ce que nous sommes. Supposons que nous ayons un monde dans lequel la fausseté n’est pas possible. Il ne serait pas non plus possible de mentir.

A l’origine de notre tradition, le diable est dénommé « père du mensonge » – une identification pertinente. Dans notre monde, la fausseté est l’opposé de la vérité. Nous devons toujours choisir entre les deux. Pour une large part, le drame de notre existence repose sur le choix que nous faisons entre la vérité et la fausseté.


James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques en Amérique.


Illustration : Tom Brady victorieux

source : http://www.thecatholicthing.org/2015/05/26/on-falsity/