La conscience et la réalité. - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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La conscience et la réalité.

Traduit par Bernadette Cosyn

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Dans une magnifique allocution de 1991, sur le thème « conscience et vérité », Joseph Ratzinger, alors cardinal, a rapporté une remarque qu’un confrère plus âgé lui avait faite, « qu’on devrait actuellement être reconnaissants à Dieu qu’Il permette qu’il y ait tant d’incroyants de bonne foi. Car si leurs yeux s’ouvraient et qu’ils devenaient croyants, ils ne seraient pas, dans le monde actuel, capables de porter le fardeau de la Foi et de toutes ses obligations morales. Mais ainsi, puisqu’ils peuvent prendre en toute bonne conscience un autre chemin, ils peuvent atteindre le salut. »

Ce qui l’avait particulièrement choqué, a relaté le futur pape, c’était la notion de « cécité envoyé par Dieu pour le salut des gens en question » :

Ce qui m’a troublé, c’était la notion sous-jacente que la Foi est un fardeau très difficile à porter et qui n’est destiné, sans doute possible, qu’aux natures les plus vigoureuses – la Foi vue comme une sorte de châtiment, tout au moins comme une contrainte à laquelle il n’est pas facile de faire face.

Dans cette optique, la Foi ne rendrait pas le salut plus facile mais plus difficile. Etre heureux voudrait dire ne pas être écrasé par les dogmes ou le joug moral de la Foi de l’Eglise Catholique. Une conscience faussée,qui rend la vie plus facile et plus humaine, serait alors une véritable grâce…

Le mensonge, jeter la vérité aux orties, seraient meilleurs pour l’homme que la vérité. Ce ne serait plus la vérité qui le rend libre, mais plutôt qu’il devrait être libéré de la vérité… La Foi ne serait plus un magnifique cadeau d’un Dieu bon mais un boulet. Si c’était le cas, comment la Foi pourrait-elle conduire à la joie ? Qui pourait avoir le courage de transmettre la Foi ? Ne vaudrait-il pas mieux épargner aux autres la vérité, les en tenir à l’écart. Durant ces dernières décennies, des idées de cette sorte ont visiblement sapé l’inclination à évangéliser.

Dans un précédent article (en octobre) intilulé Conscience et vérité, je posais la question de savoir si, ayant fait quelque chose de mal, vous voudriez que quelqu’un vous le signale. Entendre un reproche, et surtout un reproche d’ordre moral, est difficile, ai-je suggéré, parce que cela nous oblige à regarder en face des vérités désagréables nous concernant. L’ancien proverbe grec « connais-toi toi-même » était un conseil avisé, non parce qu’il était facile à suivre, mais parce que très peu de gens en avaient envie.

La question semblait très simple, droite, bien que profondément existentielle. Pourtant, il se trouve qu’il y a bien des façons d’esquiver une simple question. L’une des statégies pour esquiver les questions consiste à interposer un discours sans rapport à propos des « véritables » intentions de l’auteur ou concernant la fiabilité de la vérité morale « objective » ou l’Eglise Catholique. Certains m’ont demandé si cela avait du sens de partir d’une position de supériorité morale. D’autres mettent en cause mon hypothèse d’une moralité « objective ». Une telle chose est-elle envisageable ? D’autres encore se plaignent des « jugements à l’emporte-pièce tyranniques » dont ils ont souffert au sein de l’Eglise Catholique avant qu’ils ne s’en « libèrent ».

Mais ma question n’avait rien à voir avec tout cela. Je ne parlais pas de la correction morale des autres, je demandais si nous étions disposés à entendre une vérité potentiellement désagréable nous concernant, nous.

L’Eglise enseigne que nous sommes créés à l’image de Dieu et que par là nous avons une dignité personnelle illimitée. Et nous sommes aussi, en même temps, comme le Deu trinitaire, fondamentalement communautaires. Alors, nous sommes appelés à traiter les autres avec la dignité et le respect que nous souhaiterions pour nous-mêmes, et qu’ils méritent en qualité de créatures « à l’image de Dieu ». Reconnaissons que je manque à ce respect, et ce régulièrement. Ai-je envie de me l’entendre dire ?

Je suis d’accord qu’il y a des stratégies plus ou moins bonnes pour reprendre moralement quelqu’un. Mais il me semble que nous avons à nous demander si nous ne sommes pas disposés à n’accepter une telle réprimande que venant d’une personne parfaite, la plus aimante qui soit, et avec le type d’approche adapté exactement à nos besoins psychiques et émotionnels. Si c’est le cas, reconnaissons immédiatement que nous ne sommes pas ouverts du tout, car une telle personne n’existe pas. Bien sûr, nous pouvons nous évertuer continuellement à devenir plus sages et plus respectueux des autres. Mais la perfection n’est pas de ce monde.

Ce qui est vraiment inquiétant dans le commentaire du confrère plus âgé du cardinal Ratzinger est justement son âge qui l’a rendu contemporain de la Solution Finale en Allemagne, quand bien trop de citoyens allemands se satisfaisaient de vivre dans une ignorance béate de ce qui arrivait à leurs voisins juifs. Etaient-ils alors « libérés de la vérité » ? Etaient-ils plus heureux de ne pas être accablés du joug moral de la Foi de l’Eglise Catholique ? Est-ce que leur conscience quasi muette et faussée a marqué pour eux une « voie plus humaine », même si leur aveuglement leur a effectivement, dans un certain sens, rendu la vie plus facile ?

La Foi est-elle un cadeau précieux d’un Dieu bon ou un boulet ? Croyons-nous qu’elle nous mène finalement à la joie, même si cette joie implique de porter la croix ? Ou bien croyons-nous qu’il est préférable d’épargner la vérité aux gens ? Pour l’homme, le mensonge est-il vraiment préférable à la vérité ? Notre salut consiste-t-il à être « libérés de la vérité » ? Ou est-ce la Vérité – notamment celle révélée par Dieu concernant la personne humaine – qui nous libèrera ? Est-ce qu’épargner aux gens le Chemin de la Vérité est réellement la clef de la « nouvelle évangélisation » dont les gens n’arrêtent pas de parler ?

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Randall B. Smith est professeur à l’université de Saint Thomas, où il a récemment été nommé à la chaire de théologie Scanlan.

illustration : le cardinal Ratzinger en 1991

source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/conscience-and-reality.html