LE TEMPS D’ESTHER - France Catholique

LE TEMPS D’ESTHER

LE TEMPS D’ESTHER

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Une démocratie internationale où les femmes seraient à parité avec les hommes serait-elle plus pacifique, plus juste et plus humaine ?

La France n’avait jamais eu de ministre des Affaires étrangères qui fut une femme avant la brève exception récente et malheureuse de Michèle Alliot-Marie. Les Etats-Unis depuis Madeleine Albright, puis Condoleeza Rice, et maintenant Hillary Clinton, ont établi une tradition. La France ni d’ailleurs pour le compte les Etats-Unis n’ont jamais encore élu une femme à la tête de l’Etat. Ségolène Royal et Hillary Clinton échouèrent en 2007 et 2008. Dans les deux pays, les candidates sont nombreuses pour 2012. Entre Marine Le Pen, Eva Joly et Christine Boutin, Martine Aubry et Ségolène Royal…, et hier Marie-George Buffet et Arlette Laguiller, il ne reste que l’UMP et le Centre à ne pas avoir mis de femme en lice pour la première place.

L’Amérique latine compte trois femmes à la tête des trois plus importants pays de l’hémisphère : Mme Bachelet au Chili, Mme Cristner en Argentine, et tout récemment Mme Disma au Brésil. On ne les compte plus en Asie, depuis les Philippines (Mme Aquino, Mme Arroyo), l’Indonésie (Megawati), le Bangladesh, tout récemment la Thaïlande (Yingluck), sans compter l’opposante birmane Aung Suu Kyi, et Mme Sonia Gandhi à la tête du Parti du Congrès en Inde, belle-fille de la fameuse Indira Gandhi.

Les choses vont beaucoup plus lentement en Afrique (Mme Sirleaf au Libéria reste seule ; le Kenya qui a adopté il y a un an une constitution prévoyant que les assemblées électives ne devraient pas comporter plus de 2/3 de membres « d’un même genre », peine à l’appliquer ; le Rwanda observe la parité dans la mesure où le génocide a creusé l’écart des genres dans certaines classes d’âge, parfois deux femmes pour un homme). Mais outre que certaines sociétés sont matriarcales, on sait le pouvoir des « Premières Dames ».

Israël (où Mme Golda Meir est demeurée une exception), le monde arabo-musulman et le monde orthodoxe-oriental demeurent en reste. A part Mme Thatcher hier, Mme Merkel aujourd’hui, deux modèles assez peu « féminins » selon l’acception commune, l’Europe occidentale ne brille pas tellement.

Quelle que soit la force de ces femmes, à titre personnel, elles évoluent au sein de mondes d’hommes, selon des règles de comportement et de pensée établis par et pour des hommes. En Occident, il leur faut être doublement hommes pour s’imposer. Et elles se sont faites seules. Dans les sociétés latines ou asiatiques, en revanche, plus machistes que les Européennes, la femme fait partie d’un système familial. Si elle y est souvent élevée sur un pavois, c’est l’image idéalisée et symbolique de la Mère ou de la Madonne que l’on révère plus qu’une « Self-Made Woman. »

Au niveau international, la place des femmes est encore plus limitée. Il est en effet difficile à une femme de s’expatrier pour plusieurs années, déplacer le centre de sa famille d’un pays à l’autre. Ou bien elle est seule, une femme de carrière, qui reconstitue sa vie là où elle se trouve ; ou bien elle réussit à pratiquer les allers-et-retours sur la durée sans risquer la séparation, sans manquer ni à la fonction ni au mari et à la famille, ce qui est un tour de force. C’est le même défi qu’il faut relever dans les sociétés privées travaillant à l’export. Autant de problèmes que l’on ne mentionne quasiment jamais s’agissant des hommes.

Quand une femme y parvient, comme Christine Lagarde au F.M.I., qu’est-elle en mesure de changer ? La gouvernance interne de la maison, les règles de comportement, les relations humaines, espérons-le. Mais la monnaie et la finance ont beau être des vocables féminins, la politique du F.M.I., elle, n’est ni « masculine » ni « féminine.»

L’imaginaire catholique (Andrew Greeley), particulièrement, rêve d’un monde plus féminin, plus proche de l’effusion de l’amour divin, « Dieu sensible au cœur » (Pascal), un monde adouci, assoupli, abouti, apaisé, attentif, affectif, attractif, artistique, authentique, associatif – ensemble fraternité et sororité -, bref, un monde aimable, aimé et aimant. Cela dépasse bien entendu le nombre et la qualité des femmes ici ou là, mais plutôt le nombre et la qualité des Saints, qu’ils soient hommes ou femmes. L’important n’est pas ici au niveau des hommes ou des femmes mais de la relation, la conversation, la communication, qui s’établit entre les deux, dans un monde bisexué, pour un réel échange de substance, un partage fusionnel.
Il y a donc ici place pour une expression d’un certain « féminisme », quitte à ce que ces valeurs puissent être incarnées aussi par des hommes. Hommes autant que femmes sont appelés à aimer Marie et à la prier.

Jusqu’à présent, la Démocratie chrétienne s’était enorgueillie d’une politique familiale et scolaire qui permette cet épanouissement. Le droit de vote reconnu aux femmes dès l’origine du suffrage universel aurait certes évité l’anticléricalisme mais aussi émancipé plus tôt la femme. Cent ans de perdus en France !

Le climat a complètement changé avec les guerres culturelles consécutives à la révolution sexuelle des années soixante qui a culminé avec la libéralisation de l’avortement (1973 aux Etats-Unis, 1975 en France).

Il semble qu’on en soit à un tournant où le féminisme devrait à nouveau changer de camp. D’un côté, il cherche à pénétrer le domaine non plus seulement moral mais religieux, remettant en cause le caractère masculin de la hiérarchie sinon de Dieu lui-même. Mais, de l’autre côté, qui se voit moins mais est plus profond, c’est la remise en cause de la libéralisation féminine à outrance, transformant le féminisme de l’intérieur. Comme avec le suffrage, de plus nombreuses femmes, notamment celles qui étaient, par conviction politique ou religieuse, restées en dehors des mouvements féministes, ont bénéficié des acquis, sont sorties de la cuisine, sont devenues les égales des hommes, sont « modernes », bien dans leur peau, mais elles ne sont pas pour autant devenues des idéologues ou des militantes. Les « féministes » n’ont donc plus l’exclusivité du « féminisme ». Ce mouvement est particulièrement net dans l’évangélisme américain (débat lancé à propos de la candidature de Mme Bachmann) mais aussi à travers le monde musulman à la faveur du « printemps arabe.»

En termes bibliques, c’est peut-être le temps d’Esther 1. La fin recherchée, la justice pour tout le peuple, est plus importante que la promotion de la femme en soi, tout en passant par elle. Femme libérée, éduquée, protégée, oui, mais comme moyen pour une fin qui la dépasse, qui nous dépasse tous, une fin prophétique.

  1. le Livre d’Esther, dans la Bible : récit de la délivrance par le Roi Cyrus sur intercession de la reine Esther, d’origine juive, nièce du prophète Mardochée, des Juifs déportés à Babylone).