LE MINISTERE DE LA CHARITE - France Catholique

LE MINISTERE DE LA CHARITE

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La relation difficile entre le réseau de la Caritas et la Curie romaine n’est pas sans analogie : pendant des années, l’évolution de la politique française d’aide publique au développement a tourné autour de problèmes de structures : après la suppression du ministère de la Coopération en 1998, la question centrale fut celle de l’autonomie de l’Agence française de développement (AFD) et les modalités de son rattachement à ses deux tutelles : ministère des Affaires étrangères et ministère des Finances. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles un Français du Secours catholique, Michel Roy, qui doit certainement être familier de la problématique française en matière d’aide, a été choisi pour assurer une meilleure relation entre les agences de la Caritas et le Saint-Siège. Les organisations sont d’ailleurs comparables en termes financiers, puisque le réseau international des Caritas gère un montant de ressources équivalent à environ la moitié des fonds consacrés par le budget français à l’aide publique au développement: 4 milliards d’Euros contre 8,5. La France officielle tient son rang, quoique de plus en plus difficilement, puisqu’elle assure 10% du total de l’APD au monde.

Est-ce que la comparaison s’arrête là ? La direction compétente au sein du Quai, direction du développement, devenue direction de la mondialisation, est sensée fixer les orientations stratégiques qu’applique l’AFD. C’est ce que le Vatican, à travers le dicastère compétent Cor Unum, veut faire depuis que Jean Paul II en 2004 a conféré à Caritas internationalis la « personnalité juridique canonique publique ». Entre les multiples rapports consacrés à la réforme de la coopération française, dont l’un est dû à l’ambassadeur Stéphane Hessel, les motivations avancées ont évolué : des retombées pour le commerce extérieur français, à la francophonie et à l’influence française à l’ONU, nous en sommes venus au contrôle de l’immigration, à la défense contre le terrorisme et les épidémies, Al Qaida et le SIDA. Mais il n’y a pas unanimité au sein de la communauté internationale. Pour tout un courant autour de la Banque Mondiale – dont la querelle, sinon la guérilla, avec la coopération française a occupé le demi-siècle post indépendances africaines -, l’idéologie est depuis le tournant du siècle la « fin de la pauvreté » dans la perspective de la mondialisation, ou en vertu d’une approche du développement démocratique (thèse de l’économiste indien Armatya Sen). De fait, la pauvreté – définie pour le Sud par le fameux un dollar/jour – semble statistiquement régresser, selon les pays et les continents, par exemple de 40 à 30% de la population, ce qui ne signifie pas que les inégalités de revenus ne progressent pas plus.
Pour l’Eglise, pour le Chrétien, c’est tout à fait différent. L’activité en question n’est pas un simple point d’application d’une politique extérieure, un instrument d’influence. Ce n’est pas non plus une entreprise idéologique de sécularisation sous forme d’occidentalisation d’un monde encore sous-développé et livré à des formes de croyances jugées hostiles au progrès. Ce n’est pas un business philanthropique ou un show médiatique. C’est son cœur même de métier. « J’aurais beau distribuer tous mes biens en aumônes, livrer mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (St Paul, I Corinthiens, 13,3).

Dans son encyclique fondamentale, Deus Caritas Est, à l’orée de son pontificat (janvier 2006), Benoît XVI a développé deux visions, une vision dite holistique et une vision dite dualiste. L’Eglise a trois dimensions : évangélique, sacramentelle et diaconique. Les accents peuvent varier au cours des âges ou des situations entre les tâches d’enseignement, la liturgie et le service de la charité. Ce dernier est le plus difficile à penser et à vivre. L’Eglise est souvent accusée de manquer de charité. Que dire alors du commun des mortels ? Mère Teresa est une icône, mais si son exemple est source d’inspiration pour une communauté, comme heureusement plusieurs congrégations ou ordres religieux caritatifs n’ont cessé de se fonder à toutes les époques, elle ne peut être institutionnalisée, rationalisée, sous la forme d’un organisme comme une Caritas. Le défi est donc ici de concilier deux couples : holistique, c’est-à-dire intégrer l’activité caritative et l’organisation ecclésiale, servir et évangéliser ou témoigner de la foi, transmission par ce canal de l’amour de Dieu pour les hommes, et d’abord les plus pauvres et les pécheurs; et dualiste, c’est-à-dire à l’inverse dissocier l’activité caritative de la fonction propre du politique qui est de créer une société plus juste. L’Eglise, et le laïc, à titre personnel, doivent informer les pouvoirs publics sur ce qui est juste, mais cela relève de la compétence exclusive du politique.

Sur ces deux plans, les concurrents directs de l’Eglise, et partenaires potentiels, les Evangéliques américains, sont plus activistes : ils sont plus holistiques, en ce qu’ils sont plus prosélytes, quoique certains s’en défendent, et ils sont moins dualistes en ce qu’ils ne répugnent pas à influencer directement les élections et les votes du Congrès sur leurs options politiques pour la société, les priorités de l’aide publique, les programmes de l’USAID etc.

La tendance qui se dégage des orientations les plus récentes du Vatican est de renforcer le côté holistique tout en restant prudent côté dualiste. Mais c’est sans doute une stratégie en deux temps : ayant réaffirmé que Caritas était le bras armé de l’Eglise, il lui reviendra ensuite de porter un message unique, à l’identité forte, au sein des réunions internationales avec les ONG séculières et au sein des instances de l’ONU, de la Banque Mondiale, de la Commission européenne (la moitié de l’APD mondiale) ou du G 8. Il faudra pour cela, sur la base des définitions de l’encyclique, décliner les conséquences pratiques. Les professionnels du développement n’ont, comme nous tous souvent, qu’une idée traditionnelle de la charité. Au lieu que les organisations caritatives se rallient à un consensus établi en fonction des objectifs partagés par ce qu’on appelle la communauté des ONG, donc « neutres », sur la base du plus petit commun dénominateur, hors de toute considération religieuse, il s’agit de renverser radicalement la perspective et d’intéresser les experts à une approche particulière qui peut constituer un maximum mais qui ne doit pas être écartée d’emblée. Tout le monde n’est pas capable de cet amour limite qui va jusqu’à donner sa vie pour l’autre. Mais qui peut le plus peut le moins. Au mieux la charité au pis l’humanisme. Une telle méthodologie tirant tout le monde vers le haut donnerait peut-être de meilleurs résultats qu’une assistance interchangeable, purement statistique, sans âme. Un problème : il y faut des hommes et des femmes de foi en nombre suffisant du côté des « prescripteurs », chez nous.

Note : Dominique Decherf, ancien ambassadeur, a servi plus de vingt ans en Afrique.