L’inquiétante fascination du mal - France Catholique
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Saint Benoît, un patron pour l'Europe
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L’inquiétante fascination du mal

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Mgr Claude Dagens, dans son dernier et passionnant livre — Souci du monde et appels de Dieu, entretiens avec Jean-Marie Guenois — fait à propos de la culture occidentale cette remarque : « Le monde de la culture, spécialement en Europe et peut-être dans d’autres pays, est hanté par l’énigme du Mal et par la mémoire du Mal. Il y a un roman, qui m’a paru très impressionnant et qui a été reçu de manière beaucoup trop superficielle : Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Ce roman déploie l’horreur du mal, avec les exécutions sommaires et cachées de dizaines de juifs, quelque part en Europe centrale, du côté de l’Ukraine. Un abattage effroyable, l’extermination des juifs dans des charniers, avec en même temps des violences érotiques en tous genres, qui se mêlent à ce récit de l’horreur du mal. Ce roman a été acclamé. J’ai moi-même été étonné, comme d’autres de le lire si facilement, comme si nous étions habitués, comme si l’horreur du mal était devenue ordinaire ».

Je confesse aussi ne pas avoir lâché ce gros roman dont le sinistre héros est un SS, témoin et acteur de la Shoah par balle — dont l’auteur, très bien documenté, ne nous épargne aucun détail — et qui de plus, se vautre dans des relations incestueuses avec sa sœur et sa mère. J’avoue cependant l’avoir terminé dans le malaise, car au contraire des bons westerns où le méchant finit toujours par expier son crime, le roman se conclut dans une sorte d’apothéose du mal. Le plus surprenant est l’accueil reçu par les critiques et un public pour une fois à l’unisson : Goncourt 2006 mais aussi Grand Prix du roman de l’Académie Française, 700 000 exemplaires vendus dans l’année et trop peu de voix discordantes.

Mon malaise ne venait pas de la violation de la consigne d’Elie Wiesel ( « on ne peut pas faire un roman sur Auschwitz ») mais de la crédibilité même du personnage principal ; Max le héros, véritable incarnation du mal a-t-il encore quelque chose d’humain ? Et donc est-il réel en tant qu’homme ?

C’est là que la remarque de Mgr Dagens prend toute sa portée ; car l’auteur, en revendiquant le réalisme historique, paraît tout autant fasciné par le mal que son million de lecteurs, et l’on peut aller jusqu’à se demander s’il n’a pas intentionnellement fabriqué un objet dont il savait parfaitement qu’il répondait aux attentes morbides du public. Or en se délectant de l’horreur, on s’y habitue sournoisement, comme le fait justement remarquer Claude Dagens. A contrario, cela permet de comprendre pourquoi les gardiens de la culture française bien pensante jettent a priori la suspicion sur les fictions qui se terminent bien. Et à l’inverse portent aux nues l’abject et le sordide.

Pourtant la réalité recèle des milliers d’histoires merveilleuses, y compris dans les périodes les plus noires de l’histoire. Encore faut-il savoir les voir et y croire.