L'esprit de Bukovine - France Catholique
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L’esprit de Bukovine

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Chernivtsi ? Chernovtsy ? Connais pas. En revanche, la mémoire longue a retenu Czernowitz ! L’endroit s’était appelé aussi auparavant Cernaüti. Quatre orthographes pour une même ville : ukrainienne, russe, hongroise, moldave (roumaine).

Quoique séparés de trente ans, deux natifs de cette ville sont devenus le même jour, 24 février 2014, les deux personnes les plus importantes d’Ukraine : Arseni Iatseniouk, Premier ministre, qui y est né en 1974, le territoire étant soviétique mais ukrainien, et Vladyki Onufry, Métropolite de Kiev et de l’Ukraine, qui y est né en 1944, au moment de sa conquête sur la Roumanie par l’Armée rouge.

Et tous les deux ont été élus à titre transitoire, le premier en attendant les élections du 25 mai, le second en tant qu’administrateur temporaire à la place du titulaire Vladimir (Volodymir) Sabodan, déclaré incapable. Le premier a été désigné par la Rada, l’Assemblée nationale, le second par le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine (autonome mais rattachée au patriarcat de Moscou, la seule canonique et majoritaire dans le pays).

Nous sommes ici au confluent de la Ruthénie subcarpathique, de la Galicie orientale, de la Roumanie et de la Moldavie. Nous sommes dans la capitale de l’ancien duché de Bukovine ! D’abord moldave, conquis par l’Autriche dont il a représenté longtemps la ville frontière la plus orientale, une célèbre ville de garnison, de toutes les aventures.

En 1918, le territoire échoit à la Roumanie, grand vainqueur des négociations de paix de Versailles. De 1940 à 1947 il change quatre fois de mains entre Soviétiques et Allemands pour être finalement annexé à la république soviétique d’Ukraine. C’est dire l’ampleur des migrations de populations : 45 000 Juifs et 30 000 Roumains en 1930 sur 112 000 habitants ; en 2001, 1300 Juifs et 10 000 Roumains pour 190 000 Ukrainiens !

Le métropolite Onufry était d’ailleurs depuis 1991 le métropolite de Chernovtsy et de la Bukovine, titre officiel. Auparavant il était au prestigieux monastère russe de la Trinité-Saint-Serge pendant dix-neuf ans !

Arseni Iatseniouk a été accusé par des adversaires politiques durant la campagne présidentielle de 2010 (où il fit 7% des voix) d’avoir des ascendances juives, ce qui est un argument de poids dans un environnement historiquement marqué par l’antisémitisme. Tant le grand rabbin d’Ukraine que lui-même ont démenti qu’il soit « juif ». Il se dit de confession grecque-catholique (uniate). Il a également un grand parent roumain.

Le pape François lors de l’Angélus du 2 mars avait souhaité que « toutes les composantes du pays mettent tout en œuvre pour dépasser les incompréhensions et pour construire ensemble l’avenir de la Nation. » Il adressait également à la communauté internationale « un appel plein d’affliction afin qu’elle soutienne toute initiative en faveur du dialogue et de la concorde. » (voir ma chronique du 2 mars, le mirage romain).

Au même moment, le nouveau métropolite de Kiev et de l’Ukraine Onufry adressait au patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Kirill, un appel pressant pour que tout soit fait pour empêcher l’effusion de sang sur le territoire de l’Ukraine. « Que le Seigneur Jésus-Christ, par l’intercession de sa Mère toute pure, protège de toute confrontation les peuples frères de Russie et d’Ukraine. »

Le patriarche de Moscou lui répondait aussitôt positivement. Il ferait tout son possible pour l’empêcher. Il prenait soin de préciser que l’Eglise ne prenait aucun parti dans le conflit politique interne. Il est clair que c’est l’union spirituelle entre les deux peuples qui, pour l’Eglise, est en jeu.