L'enfant invisible - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’enfant invisible

Traduit par Bernadette Cosyn

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J’ai beaucoup pensé ces derniers temps au mariage, à la reconnaissance de nullité, au commandement de Notre Seigneur d’aller chercher la brebis perdue errant dans le désert loin des quatre-vingt-dix-neuf autres. Je crois de tout mon cœur à ce commandement parce que j’ai été cette brebis perdue.

Mais que se passe-t-il quand c’est par notre négligence ou par notre désobéissance que la brebis est perdue ? Le berger mercenaire part-il à la recherche de la brebis perdue parce que c’est plus facile pour lui que de relever l’ensemble du troupeau qu’il a laissé en déshérence ? Est-ce qu’il s’en va fredonnant à travers la campagne pendant que le loup vient rôder ? Et quand il revient avec l’idiote brebis bêlante ; est-ce qu’il se donne la peine de compter les brebis qui restent ? Est-ce qu’il remarque seulement le sang et les entrailles répandues sur la barrière brisée ?

Il était une fois un enfant qui avait un père et une mère. Ils avaient promis de s’aimer et d’être fidèle l’un à l’autre jusqu’à ce que la mort les sépare. Ils n’étaient pas faibles d’esprit ; ils savaient ce que signifiait les mots de leur promesse. Et le garçon était heureux.

Vint alors le Père des Subtiles Distinctions, qui murmura à l’époux que les mots étaient des mots et non des choses, que les mots étaient ouverts à l’interprétation et qu’un mot prononcé en toute confiance dans un certain contexte ne signifie pas forcément la même chose quand le contexte a changé. Et pour sûr il avait changé : l’épouse avait vieilli, et les charmantes manies féminines qui avaient fasciné le mari étaient devenues d’incessants coups d’épingle. Il a donc commencé à regarder ailleurs, et son cœur s’est endurci.

« Femme » a-t-il dit « je vais prendre la moitié des biens qui me revient. » Et elle ne pouvait rien y faire, en raison du non respect de la loi dans l’état où ils vivaient. Il vendit donc leur foyer, ce foyer que le garçon aimait, prit la moitié des biens et partit pour une contrée éloignée. Mais il ne partit pas seul. Il emmenait une autre femme avec lui.

Et le garçon aimait son père, parce que c’était son père, et dans le même temps il le détestait, parce qu’il les avait abandonnés. Il ne put trouver de réconfort auprès de personne. Ses professeurs sont allés jusqu’à lui dire qu’il avait de la chance, parce qu’il allait avoir deux mères au lieu d’une seule, et deux foyers. Et il a bientôt eu également deux pères, parce que sa mère perdit courage.

Elle alla voir un prêtre et lui dit : « Voyez, mon époux nous a plaqués là, dans une misère noire ». Mais le prêtre lui répondit qu’il ne pouvait rien pour elle, l’incita à oublier son mari et lui suggéra de rejoindre un groupe pour adultes célibataires. Elle alla voir un scribe, un spécialiste de la loi et lui dit : « Voyez, mon époux a renié sa promesse et nous dépérissons » mais le scribe sourit et déclara qu’elle devrait se montrer satisfaite de sa pension, qui était plus que généreuse.

C’est pour cela qu’elle a perdu courage. Et un jour, alors qu’elle était au temple avec son fils, rassemblés avec d’autres pour la prière, ils entendirent les mots de Celui qui a dit : « Alors ils cessent d’être deux et deviennent une seule chair. Par conséquent, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. »

Alors le prêtre déclara que les mots étaient des mots et non des choses, que ces mots étaient ouverts à interprétation, et qu’un mot prononcé dans un certain contexte ne signifiait pas la même chose quand le contexte avait changé. Et il avait changé pour sûr : car le prêtre incita les gens à ouvrir leur esprit et à accepter parmi eux les fornicateurs, les sodomites et les adultères. Le garçon l’entendit, et il en vint à penser que tout était mensonge.

Il était censé dire qu’il aimait rendre visite à son père et à la femme qui avait participé au saccage de son enfance, et c’était un mensonge. Il était censé dire qu’il croyait aux paroles de Jésus, mais de toute évidence personne n’y croyait puisque tout le monde mentait continuellement. Sa mère se mit en ménage avec un autre homme, sans prendre la peine de se marier, parce que personne ne croyait plus que le mariage et les relations maritales sont liés, à la place tout le monde baignait continuellement dans le péché, bien entendu. Il était censé aimer cet autre homme, et dans un certain sens, c’était vrai, mais il était également censé faire semblant que tout avait tourné pour le mieux, ce qui était également un mensonge.

Quand son corps fut prêt pour la fornication, son esprit l’était également. Il devint très habile dans l’art de dire avec son corps « je suis à toi pour toujours » quand pour toujours signifiait « jusqu’à ce que je me sois lassé de toi », ce qui arrivait parfois très vite, parfois même déjà quand il prononçait les mots. Mais les filles mentaient également, alors on ne doit pas trop les plaindre.

Puis un jour, son père se remit en ménage avec sa belle-mère, et tout le monde fut sommé de faire la fête parce qu’il était revenu. Il n’était pas revenu chez sa femme, et il n’avait pas cherché à faire amende honorable pour la tristesse, le sentiment d’abandon et la perte de la foi de son fils. Il n’avait pas dit : « traite-moi comme l’un de tes serviteurs salariés, parce que j’ai péché contre Dieu et contre toi. » Il avait dit : « venez faire la fête avec moi parce que je suis revenu ! »

Et le gras évêque dit au au fils : « Il est juste que tu fasses la fête avec ton père puisqu’il est revenu. »

Alors le fils est venu à la fête et il s’est soûlé. Il a chassé de sa mémoire toutes les fois où il a pleuré la nuit parce que son père était parti. Il a chassé de sa mémoire ce jour terrible où il lui est apparu pour la première fois que personne ne disait jamais la vérité. Il a chassé de son imagination que Jésus a dit : « Laissez les petits enfants venir à moi. »

Il a écrasé son cœur sous une meule de moulin. Il n’a pas pardonné, puisque tout le monde lui disait qu’il n’y avait rien à pardonner. Alors il s’est soûlé.

Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il enseigne à Providence College.

Illustration : « Divorce » par William Holbrook Beard, vers 1880

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/09/30/the-invisible-child/