L’attrait de la subsidiarité - France Catholique
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L’attrait de la subsidiarité

Traduit par Vincent de L.

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Appelez ça le code ou le style opératif des juristes et avocats lorsqu’ils sont confrontés aux défis moraux agressifs qui ont marqué les « guerres de la culture » depuis 1965 : essayer de trouver quelque procédure qui semble « juste » aux personnes de tous les côtés, des arrangements que l’on peut accepter, et essayer ensuite d’éviter le fond de ces questions morales épineuses.

L’avortement ? Nous allons chercher à renvoyer la question aux États, et vivre avec quelques États gauchistes acceptant l’avortement à la demande. Ne prétendons pas que rien, dans les principes de la Constitution, ne pourrait remettre en question les motifs pour lesquels le législateur pourrait retirer la protection de la loi à ces petites « personnes » humaines in utero.

Le mariage ? Disons que la Constitution ne dit rien à propos du « mariage », il n’est donc pas nécessaire de mettre en avant un argument pour que l’union d’un homme et d’une femme soit la forme la plus défendable du mariage. Renvoyons simplement cette question dans l’arène politique, mais sans le conseil de suggérer la question morale du mariage tel que nous l’avons connu.

Mais à présent, nous avons le mariage entre personnes du même sexe mis en place par la Cour Suprême ! Ne bougeons pas pour que le Congrès infléchisse ses pouvoirs comme il l’a fait dans le passé pour contrer des décisions de la Cour. Laissons incontesté le fond de cette décision et tâchons au moins d’obtenir quelques exemptions « religieuses » pour les gens ordinaires, les boulangers et les fleuristes, qui ne souhaitent pas devenir complices de quelque chose qu’ils trouvent inacceptable.

Mais certains dans notre pays se querellent sur ce qui constitue une « religion » et même cet effort, qui appelle le dévouement de mes amis, est maintenant installé au Congrès. Pendant ce temps, l’autre côté semble tenir le terrain moral. Ils réclament le manteau du « juste » et voient les autres qui se contentent d’ergoter sur des exemptions pour eux-mêmes, qui ne peuvent pas être partagées avec les autres qui ne sont pas religieux.

Lors de quelques articles que j’ai écrits antérieurement, des lecteurs ont écrit pour mettre à nouveau en avant la « subsidiarité », et ce type de remède a été ré-offert par Yuval Levin dans son nouvel ouvrage, The Fractured Republic. Il fait valoir que, notre culture étant maintenant si divisée, si fragmentée, la meilleure perspective consiste à vivre dans des enclaves distinctes, libres de cultiver leur caractère propre.

C’est ce qu’était le fédéralisme, et la raison en était de favoriser des gouvernements au plus près des peuples qu’ils dirigent. Et il y aura toujours un cas pour une telle éthique : celle de Tocqueville et de George Eliot, du peuple qui prend la responsabilité de ceux qui lui sont proches. Si une communauté en Amérique a besoin d’un pont, écrivait Tocqueville, elle construit elle-même le pont, les Français attendent la permission de Paris.
Mais la subsidiarité n’offre simplement qu’un autre moyen de trouver un abri contre la guerre morale. Et pour la même raison, celui-ci ne fonctionnera pas mieux que les autres. A aucun moment, l’insularité des enclaves locales n’a été plus forte qu’à l’époque de notre fondation, et il devint pourtant évident lors de la Convention Constitutionnelle que le nouveau gouvernement aurait besoin de l’autorité pour intervenir dans ces enclaves locales.

Parce que ces enclaves se sont transformées très facilement en des tyrannies des majorités locales, faisant des choses telles que l’annulation des dettes. Ainsi que le faisait remarquer James Madison, c’était la menace contre la « sécurité des droits privés » qui « a, peut-être plus que tout le reste, produit cette convention [constitutionnelle]. »

De plus, dans ces premières années, le père Permoli à la Nouvelle Orléans dans les années 1840, pouvait violer la loi locale en organisant des funérailles avec un cercueil ouvert, et la Cour Suprême ne pouvait pas se saisir du cas. Le Premier Amendement, avec la protection du « libre exercice de la religion », fut pris pour s’appliquer uniquement au gouvernement fédéral, pas aux États.

Evidemment, pendant tout ce temps, le régime de subsidiarité a couvert la diversité la plus spectaculaire en termes d’arrangements moraux : la cohabitation avec l’esclavage. Stephen Douglas chantait les louanges du système dans ses discussions avec Abraham Lincoln comme il savourait la délicieuse variété de l’offre : il y avait des canneberges dans l’Indiana, des huîtres en Virginie et, dans certains endroits du sud… le travail des esclaves. Pas dans l’Illinois où sa population avait peu de goût pour cette sorte de chose, mais qui devait juger ?

Lincoln, faisait remarquer que Douglas « considère [l’esclavage] comme une extrêmement petite chose – seulement égale à la question des lois sur la canneberge de l’Indiana, » parce que c’était « quelque chose qui n’avait pas de contenu moral. » Mais ensuite, les Mormons ont amené la polygamie dans l’Utah. Ah, ce fut une toute autre affaire et pour celle-là, Douglas voulait envoyer l’armée ! Parce que là, voyez-vous, ça avait de l’importance. Cela était moralement grave.

Et nous y sommes. En 1967, la Cour Suprême a invalidé les lois qui interdisaient le mariage entre les races. Pourtant, aucun des juges conservateurs ne dira que la Cour avait tort alors, même si le mariage n’était plus dans la Constitution au moment où la Cour a traité du mariage homosexuel en 2015. Même les juges conservateurs ne renverront pas cette question devant les électeurs, dans l’arène politique, au nom de la « subsidiarité ».

Dès que le sens soutient que quelque chose de légitime, quelque chose qui a une signification morale, est en jeu, les murs de la subsidiarité tombent. Il y aura des mandats pour respecter les transgenres et les partenaires de même sexe dans les écoles locales, publiques et privées, avec la menace de retenir les subventions fédérales ou de lancer des poursuites judiciaires.

Combien de temps cela prendra-t-il pour apprendre qu’il n’y a pas de porte basse sous le mur ? Si les conservateurs résistent, ils devront secouer leurs aversions et rencontrer directement l’opposition, en contestant leur argumentation morale sur le fond.

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https://www.thecatholicthing.org/2016/06/14/the-lure-of-subsidiarity/

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Hadley Arkes est professeur émérite de jurisprudence à la chaire Ney de l’Amberst College. Il est également fondateur et directeur de l’Institut James Wilson, basé à Washington, sur les droits naturels et la fondation de l’Amérique. Son plus récent livre est Constitutional Illusions & Anchoring Truths: The Touchstone of the Natural Law (« Illusions constitutionnelles et vérités ancrées : la pierre angulaire de la loi naturelle »). Le volume II de ses conférences audio sur The Modern Scholar, First Principles and Natural Law (« Le chercheur moderne, premiers principes et loi naturelle ») est désormais disponible au téléchargement.