L'amour comme vertu - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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L’amour comme vertu

Traduit par Bernadette Cosyn

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« Nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier. » C’est ce que nous lisons dans 1 Jean 4:19. Dans un article précédent, j’ai proposé que nous apprenions de Thomas d’Aquin que l’amour peut être à la fois une passion et une vertu. Dans le monde moderne, nous avons tendance à voir l’amour uniquement comme une émotion – quelque chose qui « nous tombe dessus ». Il y a bien certainement un amour de cette sorte, l’amour que nous « ressentons », et parfois très violemment. Mais il est important de prendre conscience que ce n’est pas la seule forme d’amour. Il y a également l’amour comme vertu – quand l’amour ne devient plus simplement un sentiment que nous éprouvons, mais une disposition ancrée à faire ce qui est bien pour les autres : une disposition à l’altruisme, à la compassion, à la justice.

Il n’y a peut-être pas de phrase plus mal employée que cet écrit de Saint Augustin : « aime et fais comme tu désires. » Beaucoup de gens s’imaginent que cela signifie : « aime et fais tout ce que tu veux. » Ou bien : « si tu fais quelque chose avec amour, quelle que soit cette chose, il n’y a rien à redire. »

La vérité, c’est que cette sentence «  aime et fais comme tu désires » est extraite de l’homélie n°7 de de Saint Augustin sur la première épître de Jean, une homélie qui couvre l’ensemble des versets 4 à 12 du 4° chapitre, incluant le verset « nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier ».

Selon Augustin, parce que Dieu est amour, quand nous aimons sincèrement et sans égoïsme, nous aimons avec l’amour même de Dieu. Il nous accorde de participer au même esprit d’amour qui existe de toute éternité entre le Père, le Fils et l’Esprit. Il nous donne ce que Thomas d’Aquin appelle « la loi nouvelle », la « loi de grâce » par laquelle « la charité se répand dans nos cœurs. »(Rom 5:5) La « loi nouvelle » est l’accomplissement de la promesse de Dieu rapportée en Ézéchiel 36:25-27 : « Je vais répandre sur vous une eau pure et je vous nettoierai de toutes vos impuretés, je vous purifierai de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; et j’ôterai de votre corps votre cœur de pierre pour le remplacer par un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, afin que vous suiviez mes lois et soyez attentifs à mes commandements. »

Mais remarquez bien la dernière partie de ce verset : l’amour ne révoque pas la loi. L’amour nous aide à satisfaire à la loi – librement. L’amour nous rend capable de faire la volonté de Dieu, pas uniquement ce que nos désirs et passions nous poussent à faire. L’amour passion peut me tenter de commettre l’adultère. Pourtant, quand l’amour est une vertu – quand mon amour est façonné par la grâce de Dieu et non par mes propres désirs ; quand je suis mu par un amour vraiment désintéressé, semblable à l’amour du Christ pour nous – alors je ne prends pas à tort ma passion de posséder une femme comme une justification pour faire quelque chose dont je dois m’abstenir.

Quand l’amour est une vertu, il requiert de la discipline. Il requiert que nous coopérions avec la grâce de Dieu. Et donc, peu après avoir fait ce fameux commentaire « aime et fais comme tu désires », Augustin avertit ceux de sa communauté qu’ils « ne doivent pas penser que l’amour est une chose sordide » ou qu’il puisse être préservé par une sorte de « docile langueur ».

Ne vous imaginez pas que vous aimez votre serviteur quand vous le battez, ou que vous aimez votre fils quand vous ne le disciplinez pas, ou que vous aimez votre voisin quand vous ne lui reprochez pas sa mauvaise conduite : ce n’est pas de la charité, c’est de la pure faiblesse. La charité est fervente à corriger, à amender… N’aimons pas l’erreur dans l’homme mais l’homme : car Dieu a créé l’homme, l’erreur, c’est l’homme qui l’a faite lui-même. Aimons ce que Dieu a fait, non ce que l’homme a fait en dehors de lui. Dès lors que vous aimez l’homme que Dieu a fait, écartez le péché que l’homme a fait. Dès lors que vous prisez Dieu, amendez l’homme.

La colombe qui est descendue sur le Seigneur lors de Son baptême signifie la charité, dit Augustin, « parce que bien que n’ayant pas d’amertume, la colombe défend ses petits bec et ongles. Sa violence est dépourvue d’amertume. » Quiconque a déjà vu une mère protégeant son enfant des étrangers comprendra cette phrase.

Nous ne percevons pas la violence de l’amour dans notre compréhension moderne de « aime et fais comme tu désires ». Nous en faisons « aime et suis le courant ». L’amour est une auto-justification de mes désirs. Et cette sorte d’ »amour »est le résultat de ce que le grand théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer appelait « la grâce au rabais ». Je me sens tout brûlant à l’intérieur, alors il est impossible que ce que je fais soit mauvais. C’est la sorte d’amour : « si t’aimer est mauvais, je n’ai pas envie d’être juste ».

Augustin oppose le père qui peut avoir à punir son fils parce qu’il l’aime et le ravisseur qui intrigue pour mener par ruse l’enfant à sa destruction, «  le trompant avec des mots doux mensongers ». Nous aussi nous devrions nous demander, quand nous disons « je t’aime », s’il s’agit d’amour véritable ou si (pour être honnête avec nous-mêmes) comme le ravisseur dont parle Augustin (seductor en latin) nous cherchons simplement à embobiner quelqu’un avec « des mots doux mensongers » pour l’amener où nous voulons. Est-ce que l’amour que nous professons est ordonné à son bien, ou plutôt à satisfaire nos propres désirs et projets ? Est-ce la sorte d’amour qui crée une nouvelle vie, ou est-ce la sorte d’amour qui détruit la vie, particulièrement celle de l’enfant à naître fruit de cet amour professé ?

Les passions peuvent être de bonnes choses. Mais elles peuvent aussi nous duper, nous faisant confondre ce qui est agréable ou plaisant avec ce qui est véritablement bon. Quand votre « amour » vous dit qu’il est acceptable de forniquer, commettre l’adultère, mentir, tricher, voler, bien que vous ressentiez sans l’ombre d’un doute une sensation très forte, ne la confondez pas avec la volonté de Dieu ou avec ce que cela signifie vraiment d’aimer les autres comme Dieu nous a aimés.

Randall Smith est professeur de théologie (chaire Scanlan) à l’université Saint-Thomas de Houston, au Texas.

Illustration : « Saint Augustin dans son étude », par Vittore Carpaccio, 1502

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/11/love-virtue/