L’UNIVERS EST-IL INFINI ? - France Catholique

L’UNIVERS EST-IL INFINI ?

L’UNIVERS EST-IL INFINI ?

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Chronique n° 15 parue dans France Catholique – N° 1256 – 8 janvier 1971


L’UNIVERS EST-IL INFINI ?
(a)

Admettre que l’on puisse réellement poser cette question, c’est déjà supposer résolus un certain nombre de problèmes philosophiques fort obscurs et peut-être inextricables. D’abord, de quel infini veut-on parler ? L’ensemble des nombres décimaux compris entre 0 et 1 est infini. Avouons cependant que de 0 à 1, il n’y a pas loin. Le calcul intégral consiste à manier ce genre d’infinis-là qui n’effraient guère la pensée. Mais l’univers infini ?

Ce qui sauve les astronomes actuellement occupés à trouver des tests expérimentaux capables de répondre cette question, c’est qu’ils avancent sans se soucier de philosophie. Aussi ces expériences, aussi grandioses soient-elles, ne visent-elles qu’un objectif modeste : ils veulent simplement savoir si, quand on regarde de plus en plus loin dans l’espace, quelque chose semble diminuer ou même simplement changer.

Imaginons-nous dans une forêt. Nous voulons connaître ses dimensions. Un premier moyen consiste à partir en ligne droite, et à marcher. Pour l’espace, ce moyen-là nous est refusé : jusqu’ici, nos vols spatiaux les plus lointains ne correspondent même pas dans l’immensité du ciel astronomique à l’exploration d’un seul grain de poussière perdu dans le Sahara, tant s’en faut. Nous devons donc faire appel à d’autres moyens pour explorer notre forêt cosmique.

Le Petit Poucet, lui, choisissait l’arbre le plus haut, il grimpait jusqu’à son sommet et regardait au loin. C’est cela que les astronomes sont en train de faire. Et voici leur résultat : plus l’arbre choisi est haut et plus limites de la forêt reculent. Aussi loin qu’ils regardent, c’est toujours la même chose : des arbres, encore des arbres, des galaxies, toujours des galaxies.

En fait, cette comparaison n’est pas juste. Entre la forêt des arbres et celle des astres, il existe une différence essentielle : c’est que notre seul moyen d’explorer le lointain, à savoir la lumière, ne met qu’une infime fraction de seconde pour nous parvenir du bout de la forêt. Au lieu qu’à raison de 300 000 kilomètres à la seconde, elle met, de la Lune à nous, une seconde et quart, un peu plus de huit minutes du soleil, plusieurs années de la plus proche étoile, 25 000 ans environ du centre de notre galaxie (lequel en réalité, étant opaque, nous demeure invisible), plusieurs millions d’années de l’autre galaxie la plus proche, et ainsi de suite, si bien que, plus loin notre regard se porte dans respace et plus est ancien le spectacle qui se révèle à lui.

Quand nous levons les yeux vers la voie lactée par une claire nuit sans lune, cette traînée blanchâtre qui se perd sur le fond noir du ciel derrière les points brillants des étoiles les plus proches, c’est un passé révolu depuis des milliers et même, en certains endroits, depuis des dizaines de milliers d’années. Inversement d’ailleurs, les habitants des planètes situées à 1970 années-lumière de nous peuvent en ce moment, s’ils ont des instruments assez puissants, apercevoir les torches des bergers et des rois Mages, dont la lumière a mis tout ce temps à leur parvenir !

En observant les lointains de l’espace, les astronomes explorent donc en même temps, le passé de l’univers. Et c’est ici que leur démarche devient intéressante.

Reprenons notre image de la forêt. Si la lumière voyageait très lentement, le Petit Poucet, en regardant de plus en plus loin, verrait les arbres tels qu’ils étaient il y a trois mois, six mois, un an, deux ans. Et que constaterait-il ? A supposer que son aventure se déroulât au printemps, il verrait au-delà d’une certaine distance, les arbres enneigés de l’hiver précédent, plus loin encore les couleurs jaunissantes du dernier automne, à une année lumière il verrait un autre printemps, et ainsi de suite.

En réfléchissant à tout cela avec un peu de mathématiques, il découvrirait le phénomène des saisons, il en déduirait la rotondité de la Terre, son inclinaison sur son orbite, sa révolution circumsolaire, la précession des équinoxes, et, de proche en proche, en confrontant l’éloignement dans l’espace et le changement dans le temps, il aboutirait à se faire de l’univers une image infiniment plus vaste et compliquée que celle que lui montrent ses yeux.

Et c’est ce qu’ont fait les astronomes. En comparant les galaxies de même type, ils sont arrivés à la conclusion qu’elles devaient avoir toutes à peu près les mêmes dimensions (et qu’il suffit donc, pour décider que celle-ci est deux fois plus éloignée que celle-là, de constater que la seconde parait deux fois plus petite que la première (en dimensions linéaires).
L’Américain Hubble fit alors une extraordinaire découverte : plus une galaxie est éloignée, plus les raies de son spectre sont décalées vers le rouge, ce qui, interprété de la seule façon connue jusqu’ici (l’effet Doppler Fizeau), signifie que l’univers tout entier explose. Il est « en expansion ». Mais s’il explose, cela entraîne qu’à un moment donné du passé tout ce qui existe était rassemblé en un seul lieu de l’espace. Je passe sur les infinies discussions théoriques et expérimentales (en l’occurrence, on comprendra que ces expériences se réduisent à des mesures) pour en venir aux idées actuellement débattues.

A première vue, si tout ce qui existe peut avoir été, il y a une quinzaine de milliards d’années, concentré dans un volume limité, cela semble signifier que l’univers n’est pas infini. Comment une quantité infinie de matière, ou d’énergie, pourrait-elle s’être trouvée enfermée dans une petite boule ?
A cette question, les astronomes, qui ne voient aucune raison de se laisser impressionner par des objections ne relevant ni du calcul ni de l’observation, répondent froidement qu’il suffit, pour que tout rentre dans l’ordre, d’admettre que la densité de cette énergie ou de ce je ne sais quoi était alors elle-même infinie. Que répondre à cela, sinon qu’on voudrait bien avoir quelques vestiges de cette vertigineuse infinité ?

Or, justement, en 1965, les Américains Penzias et Wilson découvraient séparément, en provenance du fond du ciel sur la longueur d’onde radio de 7 centimètres, un rayonnement uniforme correspondant à une température Kelvin (absolue) de 3 degrés, complètement inexplicable (b).

Depuis, de nombreuses autres mesures faites dans la bande comprise entre 0,3 et 60 centimètres ont confirmé ce rayonnement. S’il en est bien ainsi et si les modèles d’univers relativiste de Friedman et Robertson-Walker (apparemment légitimés par d’autres observations) correspondent à la réalité, alors on doit admettre qu’à un moment du passé, ou peut-être à plusieurs, l’univers s’est trouvé réduit à un point de densité infinie. Si une densité peut être infinie, pourquoi pas n’importe quoi ?

C’est de cela que discutent maintenant les spécialistes de la cosmologie, et il faut bien dire que les opinions les plus contradictoires sont avancées. Les uns se demandent si certaines hypothèses du modèle relativiste ne sont pas arbitraires. D’autres si le point était vraiment un point. D’autres enfin mettent tout simplement en doute la réalité de l’expansion de l’univers et proposent de trouver une autre explication au décalage vers le rouge (c). Force Petits Poucets se disputent au sommet de l’arbre.
Une chose est certaine toutefois, car là il ne s’agit que d’un fait d’observation : nul ne peut voir le bout de la forêt (d).

Aimé MICHEL

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Notes de Jean-Pierre Rospars

(a) Cette chronique est apparemment de pure vulgarisation scientifique et, une fois n’est pas coutume, l’auteur ne paraît en tirer aucune leçon philosophique. En réalité elle sert à poser le cadre dans lequel l’homme va faire son apparition et qui sera l’objet de la chronique de la semaine prochaine Voici l’homme.

(b) Ce rayonnement provenant de toutes les directions du ciel paraît en effet inexplicable autrement que par une émission produite en tout point de l’univers. Il fut émis au moment où l’univers devint pour la première fois transparent à la lumière. Auparavant, il était opaque car si dense et si chaud que la lumière émise était rapidement réabsorbée. On l’interprète donc comme ce qui reste aujourd’hui de la première lumière qui put voyager librement dans l’espace sans rencontrer d’obstacle. Il fut prédit par Gamov, le célèbre auteur de la série des Mr Tompkins, avant d’être découvert fortuitement par Penzias et Wilson. Ce rayonnement cosmique fossile est l’un des trois principaux arguments en faveur de la théorie du Grand Boum, ou Big Bang, comme la nomma par dérision l’astronome Fred Hoyle qui n’y croyait pas. Les deux autres sont le décalage vers le rouge et l’abondance relative des éléments légers, hydrogène et hélium, les premiers apparus dans la fournaise initiale.

(c) Ces recherches d’une explication du décalage vers le rouge de la lumière émise par les galaxies par d’autres causes que la vitesse d’éloignement des galaxies (effet Doppler-Fizeau) n’ont pas abouti à des résultats convaincants. Elles paraissent aujourd’hui abandonnées.

(d) La question de savoir si l’univers est fini ou infini reste ouverte. Nombre de physiciens doutent qu’une quantité physique puisse être infinie ; ils préfèrent donc concevoir un univers fini. Mais alors, objectera-t-on, l’univers aurait-il un bord ? Non, car l’univers pourrait être l’équivalent à trois dimensions de la surface d’une sphère ou d’un anneau (tore). De même que ces surfaces sont finies mais sans bords, l’univers pourrait être un volume fini et sans bords. On ne peut visualiser un tel volume car il nous faudrait être capable de voir une quatrième dimension, perpendiculaire aux trois autres (longueur, profondeur, hauteur). Mais ce que notre esprit ne peut voir, il peut le concevoir et même l’explorer par les mathématiques. Selon l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, si l’univers est fini, la lumière émise par les galaxies pourrait en avoir fait une ou plusieurs fois le tour entier avant de nous parvenir, donnant ainsi l’illusion d’un univers plus grand qu’il n’ait en réalité. Il présente ces idées avec clarté et talent dans son livre L’Univers chiffonné, Fayard, 2001.

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Deux livres à commander :

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». 500 Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

À payer par chèque à l’ordre des Éditions Aldane,
case postale 100, CH-1216 Cointrin, Suisse.
Fax +41 22 345 41 24, info@aldane.com.

Aimé Michel : « L’apocalypse molle », Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Edition Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).

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