L'Apôtre - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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L’Apôtre

Un film de Cheyenne Carron

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« L’apôtre » raconte l’histoire de la conversion du jeune Akim, qui se destinait à devenir imam. En assistant au baptême du fils d’un ami, il est touché par la grâce, et commence à se renseigner sur la religion catholique. Cette scène magnifique est le cœur de ce beau film. Après avoir donné une vision équilibrée de la religion musulmane, avec les enseignements de l’imam, Cheyenne Carron montre comment Dieu touche le cœur de ce héros. À partir de l’exemple d’un prêtre, dont la sœur a été assassinée par un jeune musulman, puis de la cérémonie d’entrée dans l’Église d’un nouveau-né, la grâce fait son chemin chez cet homme ouvert et disposé à trouver sa voie et sa vérité. « Quelque chose brûle en moi », dit-il, sans savoir de quoi il s’agit. Mais le film montre également qu’il n’est pas facile de quitter la religion musulmane, même si la fin, un peu trop idéaliste, montre que l’espoir est toujours permis. Comme toujours, la réalisatrice fait preuve d’un vrai talent de cinéaste — une caméra mobile et d’excellentes liaisons musicales — ainsi que d’un talent exceptionnel pour diriger ses comédiens.

M.-G. R.-d’A.

Drame français (2014) de Cheyenne Carron, avec Faycal Safi (Akim), Brahim Tekfa (Youssef), Salah Sassi (le père), Norah Krief (la mère), Sarah Zaher (la sœur), Yannick Guérin (le prêtre), Nicolas Avinée (Fabien), Touffik Kerwaz (1h58). (Grands adolescents) Sortie le 1er octobre 2014.

DVD à commander à : cheyennecarron@gmail.com.

Le film est expédié sous 48h, au prix de 25 euros franco.

site : www.cheyennecarron.com


Parlez-nous un peu de vous…

Cheyenne Carron : J’ai subi des maltraitances jusqu’à l’âge de 3 mois, puis j’ai été rejetée sans ménagement. J’ai alors été élevée dans une famille d’accueil qui, je l’ai toujours pensé, m’était destinée. J’ai eu une petite enfance très heureuse au sein de cette famille, et je me suis épanouie dans la joie et l’amour.

Je n’avais pas conscience de ma situation d’enfant placée. Je l’ai réalisé vers six ans, quand les assistantes sociales ont commencé à venir me visiter régulièrement, en m’expliquant que je pouvais être retirée de cette famille. Cela a été un choc, pour ma mère également, parce qu’il est très difficile d’élever un enfant, avec la menace qu’il vous soit retiré.

Mes parents sont fantastiques. Ma mère est une sainte femme, une ancienne institutrice, qui a eu deux enfants, en a adopté trois. Elle aurait même voulu adopter un enfant trisomique. C’est une catholique fervente, qui a enseigné le catéchisme.

Elle ressemble un peu au prêtre de mon village que je mets en scène dans L’apôtre, celui qui a choisi de rester vivre près des parents de l’assassin de sa sœur parce qu’il sait que ça les aide à vivre. Les deux personnes qui ont marqué le plus profondément mon existence, c’est ma mère et ce prêtre, qui est, malheureusement, décédé avant-hier.


Qu’est-ce qui vous a conduit à demander le baptême ?

Mes frères et mes sœurs étaient baptisés, et nous allions à la messe. Bien sûr, je n’avais pas le droit de communier, même si un de mes frères partageait son hostie avec moi, bien que ce soit interdit. Heureusement qu’il le faisait, parce que cela me réconfortait. Mes parents n’avaient pas le droit de me faire baptiser, parce qu’on n’a pas le droit d’offrir une religion à un enfant placé en famille d’accueil. Sauf que pour moi, ils étaient bien plus que ma famille d’accueil : ils étaient mes parents. Donc j’ai vécu mon enfance en étant sur le banc de touche. Mais je savais que Dieu m’aimait. Il était d’un grand réconfort pour moi, dès mon plus jeune âge, parce que ma mère m’avait transmis cette intelligence de la foi catholique.

J’ai vécu des choses très tristes, quand j’étais enfant, et Dieu était là ! Dieu me disait : « Ne te décourage pas, tu accompliras de grandes choses si tu surmontes tout cela, et Je vais t’aider.» Et puis la question du baptême s’est posée. À partir de l’âge de 11-12 ans, j’ai commencé à me dire qu’il n’était pas normal de rester sur le banc de touche. Je voulais que ce baptême me soit donné des mains de ma mère. L’amour de ma mère, c’est, pour moi, une extension de l’amour de Dieu. Mais elle me disait qu’elle n’avait pas le droit. J’ai donc commencé à faire ma préparation au baptême seulement à l’âge de 20 ans, avec le père Faure. Mais je ne me sentais pas méritante, parce qu’à cet âge-là, je devais me battre pour réussir ma vie. Et je savais que ma vie serait faite, parfois, de mensonges et de trahisons. Si j’avais écouté ma mère, avec son respect des lois, de l’autorité, etc., je n’aurais jamais fait de cinéma.

Donc, à 20 ans, je ne me sentais pas prête à recevoir le sacrement et à avoir une vie en adéquation avec ce baptême. Je savais que ce n’était pas le moment. Parce que moi, lorsque je me plonge dans quelque chose, j’y vais à fond. Et j’avais peur aussi que ce baptême ne me détourne de mes objectifs. Parce que, lorsqu’on commence à étudier les Évangiles, on touche du doigt l’essentiel. Et l’essentiel, ça n’aurait peut-être pas été le cinéma.

Mais, venant d’où je viens, le fait de ne pas avoir été adoptée bébé, et donc d’avoir été pendant vingt ans en marge, en clandestine, ça m’a aussi apporté énormément. J’ai pu me dire : « Devant moi, tout est possible, je n’ai pas de responsabilité familiale ou d’héritage ou le poids d’une culture. Le monde commence avec moi. » C’est ce que l’on peut appeler la liberté de l’abandon. Quand on est abandonné, on peut tout choisir : j’ai choisi ma famille, mon nom, mon métier, tout.

Le baptême pour moi, ce n’est pas uniquement le fait de recevoir une grâce. D’ailleurs, la grâce, je l’ai reçue enfant, dans la mesure où Dieu a toujours été avec moi. Je vais même vous dire que, maintenant que je suis adulte et baptisée, je cherche Dieu plus souvent. Je pense que pour trouver Dieu, il faut se donner le temps de le trouver, dans la prière. Or j’ai une vie de labeur excessif, qui me laisse peu de temps pour la contemplation.

Qu’est-ce qui a déclenché, il y a deux ans, cette envie de baptême ?

Après La fille publique, film sur ma vie, j’ai eu le sentiment d’avoir passé une étape. Le film retrace le parcours d’une fille qui croit en Dieu, qui prie comme sa mère lui a montré. C’est déjà un film où il y a la nécessité de Dieu. D’ailleurs, la phrase de la fin est une phrase de saint Marc : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » C’est une phrase que l’on destine aux époux, mais j’ai voulu la mettre pour ma mère et moi. Donc après ce film, à 36 ans, j’ai ressenti le besoin de recevoir enfin le baptême. Et puis j’ai repensé au père Faure, le prêtre de mon village, j’ai repensé à sa sœur Madeleine…

Mais alors, pourquoi n’avoir pas fait un film autour de ce prêtre et de sa sœur ?

Parce que dans l’église où je vais, il y a des convertis de l’islam, avec lesquels j’ai sympathisé. Je trouvais très intéressant ce parcours laborieux. J’ai voulu unir tout cela, car l’assassin de Madeleine est un musulman. Et j’ai eu envie de corriger un peu les choses, avec ce film. J’allais à la fois rendre hommage à mon prêtre et à Madeleine. Le père Faure a connu l’existence du film, et il en était très heureux. Mais il ne l’a pas vu, et je préfère, parce qu’il y a la scène de l’assassinat, et cela aurait pu le bouleverser.

Dans le film, il y a plusieurs scènes avec l’imam. Vous connaissez bien ce monde ?

Non, je l’ai étudié pour le film, et mes comédiens m’ont beaucoup aidée, parce qu’ils sont tous de culture arabo-musulmane, sauf la mère, qui est de confession juive. Quand on écrit un scénario, on se renseigne sur le sujet que l’on développe. J’ai essayé d’être la plus juste possible, et surtout de ne pas prendre une famille pauvre de banlieue. J’ai choisi une famille aisée, où je montre que les parents sont plutôt détachés de la religion, et qu’ils sont très intégrés en France. Quant à l’imam, il est assez juste, mais il est aussi dans des dogmes très peu ouverts. Lors des discussions dans la mosquée, avec les autres musulmans, j’ai voulu parler de choses réelles, c’est-à-dire du mariage mixte, de la polygamie, de la charité qui est réservée aux seuls musulmans. Je pense que pour que le film touche, il ne faut pas qu’il soit dans l’excès, mais qu’il soit très réaliste. Parce qu’il n’est pas nécessaire d’être dans l’excès pour dénoncer quelque chose. J’ai laissé aussi une place aux extrémistes, parce que c’est la réalité. Parce que dans les hadiths du Coran, il est dit : « Celui qui quitte sa religion, tuez-le ! » Mais j’ai aussi voulu montrer une famille musulmane, avec une jeune sœur très tolérante et même assez distante de la religion.

Une des grandes différences actuelles entre la religion catholique et la religion musulmane, c’est que la religion catholique, on peut la quitter, parce que c’est l’expression d’une liberté individuelle, alors que la religion musulmane, on n’a pas le droit de la quitter. Elle vous est donnée par héritage familial. On naît musulman, en fait. Il n’y a pas de place pour le libre choix, pour la conscience. Notre religion, la religion catholique, elle est sublime. C’est une religion de vérité que l’on a beaucoup de chance d’avoir. Il faut le dire, parce que, souvent, on n’ose plus l’affirmer.

J’ai remarqué quelque chose sur le tournage, qui est essentiel : face à des gens d’une autre religion, si vous êtes convaincu de la vôtre, sans dire à l’autre que sa religion n’est pas bien, vous inspirez du respect. Si vous êtes tiède, mièvre, relativiste, on vous méprisera, on vous écrasera.

Pendant la scène du baptême, le héros se met à chanter, et quelque chose le saisit, l’effraie de son propre état : il se retient et il part. Mais il y a plusieurs événements qui le conduisent à ce baptême, il y a aussi la rencontre avec Fabien, qui n’est pas un chrétien très ardent. Il est très représentatif de ce que sont beaucoup de chrétiens de tradition, il fait baptiser son enfant, mais il ne pratique pas. C’est un chrétien de culture, ce qui n’est déjà pas si mal, parce que, si tout le monde faisait cela… En fait, il est le déclencheur de quelque chose qu’il n’aurait pas pu imaginer, qui le dépasse. En ce qui concerne le héros, à la fin, il est converti, mais il conserve ses rites alimentaires. Les conversions se font petit à petit, par petites touches. Il y a le coup de foudre, dans l’église, lors du baptême, mais après, on passe d’un état à un autre. C’est comme les histoires d’amour, il faut s’habituer à l’autre.

Vous ne craignez pas que votre film provoque des réactions de rejet, en particulier chez des musulmans ?

Mon attaché de presse a envoyé le film à un journaliste de France Culture, dont je tairai le nom, de culture arabo-musulmane. Il l’a vu la veille de l’enregistrement, et trois heures avant, il a appelé mon attaché de presse et il lui a dit : « Je ne sais même pas comment tu as pu oser me donner un film pareil ! » Même chez France Culture, il peut y avoir des extrémistes dissimulés.

En ce qui concerne les associations ou individus, pour être tout à fait honnête, dans la balance, l’amour que je porte à ce prêtre, la beauté de son geste, le souvenir de Madeleine qui a été tuée, le parcours du récit de conversion de mon ami qui fréquente la même église que moi, et mon désir de témoigner de la conversion au Christ pèsent plus lourd que mes petites craintes. J’ai épuisé mon capital de peurs quand j’étais enfant. Je n’ai pas trop peur, parce que je n’ai pas d’enfant. Si j’en avais, et qu’il m’arrivait malheur, j’aurais davantage peur.

Pour en revenir au chant de la scène du baptême, « Ô prends mon âme », je le chantais dans l’église, et je l’aimais beaucoup. Je l’ai mis dans le film, et quelqu’un m’a fait la remarque que la mélodie est celle de l’hymne national israélien (Hatikvah = « L’Espoir » en hébreu). Et puis un abbé m’a dit que c’était intéressant parce que, dans ce moment de conversion, il y a ce musulman, avec la grâce qui opère, et, dans le fond, il y a la judéité avec ce chant, et tout cela va vers le Christ. C’est a posteriori que cela a été interprété de cette manière.

Vous avez tourné avec moins de 50 000 euros, et vous vous distribuez vous-même. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela veut dire que j’ai une salle à Paris, le Lincoln (14, rue Lincoln), mais surtout que les gens peuvent me contacter pour acheter le DVD (1). Je pense que le film aura une carrière à l’international, car il a eu un prix, au Vatican, au Festival international du film catholique Mirabile Dictu (« Chose merveilleuse à dire », en français). Il y aura des salles qui vont me contacter, parce que, pour ce genre de film, les exploitants se manifestent en fonction de la presse, et l’accueil de la presse est excellent. Malgré cela, le CNC ne m’a encore jamais aidée.

Quels sont vos projets pour votre prochain film ?

Mon prochain film abordera un sujet si délicat que je n’en parlerai pas pour le moment. Ce n’est pas que j’aime les sujets difficiles, mais j’aime ceux qui font avancer les choses et qui me parlent aux tripes.