Georges Mathieu - France Catholique

Georges Mathieu

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La mort du peintre Georges Mathieu m’a sorti de notre actualité immédiate pour me faire revivre en imagination quelques instants privilégiés. Instants qui ne sont pas d’hier, car je n’avais pas revu depuis longtemps le concepteur de l’« abstraction lyrique ». En pleine maturité, il avait toutes les caractéristiques de l’artiste, à la fois en majesté et en provocateur. Son visage à lui seul figurait ce que peut être un personnage singulier, qui échappe à la monotonie du temps et laisse jaillir des éclairs. Je me suis toujours refusé à intervenir comme journaliste dans le domaine de l’art, où je m’estime culturellement incompétent, même si en privé je partage évidemment comme tout un chacun les privilèges de la beauté. Mais les toiles de Mathieu m’impressionnaient et me ravissaient, tout comme sa virtuosité presque athlétique. Il était capable de peindre une toile immense en vingt minutes, avec une puissance de concentration inégalable, lui qui s’était fait de la vitesse une alliée et une amie.

Son lyrisme ne me paraissait pas usurpé et il me semblait échapper au noir nihilisme contemporain par son inspiration allègre et un élan surgi du plus profond de lui-même. Ses représentations avaient souvent une allure de triomphe. J’ajoute que l’homme était passionné par les idées et aurait voulu de toute son âme – il trouvait sur ce terrain un complice en la personne de Salvador Dali – que son art soit en étroite correspondance avec une aventure de la pensée. Comme Nietzsche il avait pris position pour Dionysos contre les formes apolliniennes et il cherchait la complicité de penseurs comme Stéphane Lupasco pour combattre la philosophie hellénique. Il était capable de belles énormités qui mettaient en fureur quelques bons philosophes de ma connaissance. Pouvait-on parler ainsi des Grecs comme « d’un petit peuple borné qui n’a pas cru devoir écouter les prodigieuses illuminations pré-socratiques ». Je n’ai pas le temps de conter ici à ce propos quelques unes de ses facéties. Il ne m’a pas convaincu sur ce plan mais je lui sais gré, dans un monde pas très drôle, d’avoir suscité cette force, ce mouvement lyrique qui avait quelque chose d’un hymne à la joie.

Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 13 juin 2012.