Europe zweiguienne ? - France Catholique

Europe zweiguienne ?

Europe zweiguienne ?

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Stefan Zweig (debout) et son frère, à Vienne, vers 1900.

Stefan Zweig (debout) et son frère, à Vienne, vers 1900.

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Jean-Claude Juncker (1), Stefan Zweig et Erasme auraient en commun d’être des humanistes dépassés dans un monde de conflits. L’Europe de 2016 comme celle de 1936 et celle de 1516 serait en train de sombrer en proie au fanatisme qui serait le vrai nom du populisme.

La mode du séduisant intellectuel viennois broyé par la machine nazie revient régulièrement hanter les nostalgiques du « monde d’hier », celui d’une civilisation européenne disparue dans la seconde guerre mondiale.

Reconstruite après-guerre sous la forme actuelle de l’Union européenne, elle désespère à nouveau ses partisans.

Le dernier film consacré à l’exilé par Maria Schrader est révélateur. Sorti sur les écrans français en août dernier, il y est sous-titré « Adieu l’Europe » alors que dans la version allemande originale, il était sous-titré : « Avant l’aurore » (« Vor der Morgenröte »). Le scénario est assez déroutant mais il jette une lumière crue sur le personnage privé et son drame intérieur. Une suite de tableaux d’exil, à Buenos Aires, au cœur des plantations de canne à sucre brésiliennes, un aller-retour à New York, le quotidien dérisoire de Petropolis, conduisent sans que l’on s’en rende compte au matin fatal de février 1942 où les deux corps de l’écrivain et de sa jeune épouse seront découverts ensemble.

La séquence la plus inattendue est celle qui ouvre le film : le XIVe Congrès international des PEN clubs dans la capitale argentine en septembre 1936 sous le gouvernement du général Agustin Justo avec la participation de trois écrivains français, Jules Romains, président, George Duhamel et Jacques Maritain. Stefan Zweig contrairement à ses collègues allemands présents refuse de se prononcer publiquement sur l’Allemagne qu’il a fui dès 1934 pour Londres et s’en explique laborieusement à la presse internationale et aux associations juives.

L’année précédente, en 1935 il avait pourtant publié une profession de foi extrêmement forte en faveur de l’humanisme contre le fanatisme sous forme d’une courte biographie d’Erasme (opportunément republiée en janvier dernier par les éditions Grasset dans la collection « Les Cahiers Rouges ») qui frisait l’autoportrait. De même qu’il prêtait ses propres sentiments à Erasme, il faisait rétrospectivement de Luther une sorte de nazi. Hormis quelques mots d’espérance ici et là sur le long terme, le tableau était globalement négatif. Les idéalistes, les pacifistes, les humanitaires, sont toujours destinés à perdre, expliquait-il, car ils privilégient le bonheur collectif abstrait sur les antagonismes bien trop concrets. Mais aussi parce que « si ces idées étaient grandes les hommes qui les proclamaient manquaient souvent d’envergure ».

Il leur faudrait faire preuve de plus de courage, de force, de hardiesse que leurs adversaires. Or c’est tout le contraire. Ils hésitent à trancher, à condamner, ils cherchent à comprendre, ils essaient surtout jusqu’à l’impossible de concilier les adversaires là où il faut décider, choisir son camp. C’est ce qui était arrivé à Erasme et à tous ceux qui avaient voulu modérer les deux parties, appeler à la prudence le petit moine issu du fond de la Saxe et en même temps encourager la Papauté à la réforme. On sait ce qu’il en advint. Erasme fut du coup « relégué à l’arrière-plan du gigantesque tableau de la Réforme ».

Selon Zweig, la Réforme a « brisé la dernière forme d’unité spirituelle de l’Europe ».

C’est sur cet arrière-plan que le Saint-Père se rendra le 30 0ctobre à Upsala (Suède) pour s’associer à la célébration du cinquième centenaire des 95 thèses de Luther à Wittenberg.

L’Union européenne a sans doute été la première institution depuis cinq cents ans à réunir catholiques et réformés européens autour de l’idéal érasmien. La ville de Bâle (où Erasme se réfugia au pire de la controverse de 1521 à 1529 puis y revint en 1535 pour y mourir en 1536) est bien seule cette année à commémorer l’illustre penseur de la Renaissance sous le titre : « Une meilleure image du Christ », allusion à sa célèbre traduction latine du Nouveau Testament grec datant de 1516, sur la base de laquelle Luther élabora sa propre traduction en allemand en 1522.

(1) Alain Frachon, « Le Monde », 23 septembre 2016