Entretien avec Thomas Hervouët - France Catholique
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Entretien avec Thomas Hervouët

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L’une des grandes révélations littéraires de 2015, avec un vrai succès de librairie, aura relevé du roman catholique (!), un genre auquel un nouveau romancier s’est exercé avec un bonheur jubilatoire et communicatif.

Qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture romanesque ?

J’enseigne l’histoire. Le roman est une autre manière de raconter celle-ci. Naturellement, la littérature propose un point de vue subjectif, mais au fond, cette subjectivité est moins un problème qu’une convention commode. Elle permet d’exposer, de manière plus ou moins grave selon le registre choisi, les enjeux d’une époque, leur résonance dans la conscience des contemporains, et de placer ainsi directement le lecteur devant les dilemmes et les choix d’une génération.

« Les pieuses combines de Réginald »… quelle histoire se cache derrière ce titre étrange ?

La comtesse de Roquefort lègue sa fortune à un lointain filleul, à condition que celui-ci soit catholique. Réginald, le notaire, doit vérifier cette condition essentielle. Se prenant d’amitié pour le garçon, il se dit qu’il ferait un gendre plus sympathique que l’actuel prétendant de sa fille, rejeton de la gauche caviar parisienne avec lequel il ne se sent aucune affinité. Les pieuses combines de Réginald vont donc consister à amener un héritier potentiel à la foi chrétienne, en s’arrangeant pour que sa fille en tombe amoureuse. Tout ceci, en conservant un strict secret professionnel concernant le testament de la comtesse… Voilà qui mène nos personnages de groupes de prière en pèlerinage à Lourdes, pour garantir, avec la succession Roquefort, la transmission des valeurs d’un certain milieu français.

Intérêt financier, mariage arrangé, religion, bourgeoisie : est-ce que ce ne sont pas les ingrédients d’une caricature non seulement sévère mais aussi dépassée des catholiques français ?

Avant d’offrir les traits d’une éventuelle caricature, ce sont surtout les ressorts efficaces d’une comédie classiques, ressorts bien utiles pour l’écrivain débutant que je suis. Et si, d’âge en âge, ils continuent à faire rebondir joyeusement n’importe quelle intrigue, c’est qu’ils doivent être accrochés à quelques réalités viscérales que je ne me sens pas encore assez mûr pour dédaigner. Cette fameuse « transmission des valeurs », tant matérielles que spirituelles, n’est certes pas à la mode ; jamais pourtant ses enjeux n’ont été perçus avec tant d’acuité. L’intérêt d’un père pour le mariage de sa fille, à une époque où pratiquement plus aucun cadre social ne vient soutenir cet engagement, ne me paraît pas si futile. Ensuite, il est vrai, la bourgeoisie est une classe sociale très pratique pour n’importe quel artiste : cérémonieuse, elle affiche des principes et a le souci des formes. Personne n’offre de plus confortables lieux communs pour mettre en scène quelques conflits moraux élémentaires.

Certes, mais votre livre n’engage pas qu’une classe sociale : il est aussi question de l’Église… Est-il juste de la représenter à travers une série de combines, aussi pieuses soient-elles ?

L’autodérision est dans l’Église une pratique qui peut se réclamer des autorités les plus éminentes. Pour qui veut le lire en ce sens, l’Évangile de Jean nous présente un Christ très spirituel, et parfois caustique avec ses disciples. Cependant, il n’est sans doute pas dans l’intention de l’évangéliste de peindre un joyeux luron. Si le Christ a le sens de l’humour, c’est que le salut du monde dépend de cela aussi. Les chrétiens ont le devoir de le cultiver.
En effet, comme nous le rappelait notre curé l’autre jour : les chrétiens sont excentriques, au sens où leur centre est au Ciel. Ce qui leur confère souvent, sur terre, une allure un peu décalée.

Faire rire les gens est aussi un moyen de les rapprocher. Mon espoir en écrivant ces pages était de proposer un livre sur des catholiques qui puisse être lu aussi bien par des paroissiens classiques que par des non-croyants. J’ai fait mon possible pour que le ton soit parodique mais pas ironique, piquant sans être méchant. Sans toujours y parvenir, certainement : je suis d’avance navré pour ceux que mes pointes agaceront ici ou là.

Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui un enjeu décisif que de faire apparaître les catholiques sur la scène publique pas seulement comme des spirituels, des philosophes, des acteurs politiques — ce qu’ils sont par ailleurs —, mais surtout pour ce que nous connaissons d’eux : des gens tâchant de mener une vie belle et bonne à n’importe quel âge de l’existence. Et avec lesquels il est donné de passer parfois des moments agréables.

Est-il encore possible d’écrire des romans catholiques ?

Interdisons-nous de penser le contraire. Un roman est une œuvre de fiction dans laquelle la liberté — celle d’un personnage, celle d’un groupe — est en danger ; un roman catholique a ceci de particulier que cette liberté est au moins éclairée, sinon sauvée par le Christ. Un roman est donc catholique lorsqu’on y distingue le signe de la croix à l’horizon du salut. Tous les siècles passés nous ap­prennent la répugnance du monde pour ce signe précis ; que cette répugnance soit toujours d’actualité, chacun d’entre nous le sait bien.
Cela dit, trois remarques élémentaires. D’abord, l’aventure éditoriale est pour tout le monde, catholique ou non, extrêmement périlleuse. Donc, ne développons pas trop vite de complexe de persécution, mais ayons bien en tête les enjeux économiques de l’affaire.

Or, justement, il existe de très bons éditeurs catholiques, suffisamment professionnels pour mériter la confiance d’un assez large public et offrir une audience déjà sérieuse à ces livres. à partir de cette « base », le rayonnement est possible : aux lecteurs catholiques de poursuivre le travail du romancier, de l’éditeur, des journalistes et des libraires engagés. À eux d’acheter, d’offrir et de partager ce qu’ils aiment.

Enfin, à côté du roman catholique, l’actualité culturelle démontre chaque jour que des œuvres religieuses peuvent recueillir les audiences les plus vastes. Le cinéma américain par exemple nous en donne régulièrement la preuve. De même que Clément d’Alexandrie reconnaissait dans l’Ulysse d’Homère une figure christique, bien des personnages de films ou de livres aujourd’hui ont une dimension religieuse parfois saisissante. Pour le dire de manière imagée : la croix paraît intolérable, mais les icônes sont très appréciées de nos contemporains. Si elles n’ont pas la même précision décisive, elles sont déjà susceptibles de faire naître un désir religieux et d’accoutumer les uns et les autres à la compagnie des saints.

Conseil pour un écrivain catholique ?

Le même je suppose que pour un journaliste, un cordonnier ou un horticulteur catholique… Aimer son travail ! Et donc travailler en homme libre.

http://www.librairie-emmanuel.fr/A-128414-les-pieuses-combines-de-reginald.aspx?gclid=CLTc8KLStcoCFWX4wgodb1YHXA