Entre ciel et terre - France Catholique

Entre ciel et terre

Entre ciel et terre

Le pape François a accompli son cinquième voyage international dans la journée du 25 novembre en se rendant auprès des institutions européennes à Strasbourg. Il a prononcé deux discours. Le premier, en fin de matinée, devant le Parlement européen, organe législatif de l'Union européenne (28 États et 508 millions d'habitants) réuni en session solennelle. En tout début d'après-midi, il s'exprimait devant le Conseil de l'Europe (47 États et 800 millions d'habitants). Nous ne saurions trop conseiller à nos amis de lire des textes toniques et refondateurs sur le site Internet de l'agence zenit.org ou sur celui du Vatican.
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Le discours du pape françois devant les eurodéputés à Strasbourg le 25 novembre est bien dans son style. Les thèmes semblent familiers. Rien de nouveau, est-on tenté de se dire à la première lecture. Et puis, peu à peu les idées se mettent en place. Sur un fond parfaitement traditionnel, dans la continuité de ses prédécesseurs et de l’enseignement constant de l’Église, les réflexions et les interrogations auxquelles il conduit sont fort originales. Le Saint-Père n’est pas venu par hasard dans l’hémicycle du Parlement européen. Ce n’est pas une visite protocolaire. Le dernier pape à y avoir pris la parole est Jean-Paul II en 1988. Pendant un quart de siècle, on n’a pas cru à Rome nécessaire de rééditer l’expérience. Parce que cela n’intéressait plus personne, que tout avait été dit une fois pour toutes ? Le moment n’est pas non plus choisi au hasard. Il intervient juste après l’entrée en fonction le 1er novembre de la nouvelle Commission alors que les élections de mai ont donné les résultats que l’on sait. Il faut donc lire le discours du Pape à l’aune de ces événements, dans l’actualité tout autant que dans la longue durée.

Deux réflexions et interrogations, d’ailleurs reliées entre elles, sont capitales. La première porte sur les institutions européennes, la seconde sur la vie démocratique en Europe.

Le Pape tire le constat des élections européennes : « La technique bureaucratique des institutions a pris le pas sur les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe. » L’on sait la part prise par l’Église à travers les Pères fondateurs de l’Europe. Le Pape va plus loin : « Quand l’absolutisation de la technique prévaut, cela finit par produire une confusion entre la fin et les moyens. » La critique est acerbe : les règles édictées par Bruxelles, éloignées des peuples, sont parfois même, il ne mâche pas ses mots, « complètement nuisibles » ! Certes, personne ne s’attendait à ce qu’il oppose à ce stade le ciel et la terre, d’autant que pour illustrer l’un et l’autre il a recours aux deux grands penseurs de l’Antiquité grecque, Platon pour le ciel des idées, Aristote pour la terre des réalités. Encore se réfère-t-il là à une fresque de Raphaël au Vatican ! Ne voyons pas trop ici de philosophie ou de théologie — encore que, si on cherche bien… — mais une mise en situation radicale de l’Europe dont le projet se situe dès les origines entre ciel et terre. « L’Europe, reprend-il en conclusion, contemple le ciel… L’Europe chemine sur la terre ».

Bien sûr il faut les deux, on le savait, l’Europe a oublié le ciel, on le savait aussi, c’est sa tragédie, mais là où le pape François innove c’est qu’il applique ce constat directement à la plus triviale des réalités : la bureaucratie des institutions européennes laquelle n’a que faire du ciel et de la terre ! C’est bien là le problème. Il n’était pas dans le rôle du Pape de décliner ce qu’il entend concrètement, mais les eurodéputés, les commissaires, les fonctionnaires de Bruxelles, sont vivement appelés à faire leur examen de conscience tout comme les chefs d’État et de gouvernement dans leur pilotage des Conseils européens. Il y a tout lieu de créer un groupe de travail ad hoc pour y répondre. Comme on dit familièrement, le Pape a mis dans le mille.

L’autre réflexion (et interrogation) ne vient pas moins à son heure. Le Pape n’y va pas non plus par quatre chemins : « Les eurodéputés ont l’exigence de maintenir vivante la démocratie des peuples d’Europe ! »  Le Pape se livre à une critique acerbe du fonctionnement des systèmes démocratiques qui en vient à se résumer désormais à « un nouveau nominalisme politique ». « L’idée, la seule parole, l’image, le sophisme » se substituent à la vie réelle.

Le Pape là encore ne détaille pas. Il pointe le doigt dans plusieurs directions, curieusement pas tant ici le populisme que le mondialisme — il cite les pouvoirs financiers —, où l’on peut discerner dans sa pensée le creuset de nouveaux totalitarismes. On retiendra avant tout la mise en garde du Pape sur les risques que court en Europe — pas au Mali ou en Thaïlande, mais en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Espagne, en Italie — la démocratie. C’est pour lui un défi historique. Cela est plus grave encore que les institutions bruxelloises, même si les deux sont liées.

S’il y a un déficit démocratique à Strasbourg, il y en a un encore plus frustrant à Paris, Londres ou Athènes. L’un des niveaux n’a pas gagné ce que l’autre a perdu. Le principe de subsidiarité, rappelé par le Pape, est méconnu.
Les maux de l’Europe, résumés à ces deux inquiétantes dérives, ne valent pas que pour l’Europe. La responsabilité de la situation est aggravée par le fait que l’Europe est « un précieux point de référence pour toute l’humanité ». Cela fait du bien de l’entendre de la part du premier pape non européen, ne l’oublions pas. Même si Bergoglio est de souche européenne, dans un pays, l’Argentine, de peuplement européen, il reste un Européen de la diaspora. Or, si le cœur de l’Europe s’affadit, c’est toute la diaspora européenne, de chair ou d’éducation, à travers le monde, qui dépérira.