Dire la vérité au pouvoir en place ? - France Catholique
Edit Template
L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
Edit Template

Dire la vérité au pouvoir en place ?

Traduit par Bernadette Cosyn

Copier le lien

« Mais enfin, seigneur Quintus Propertius dit le vieux type barbu, se tordant les doigts en saisissant brusquement les rênes du cheval du centurion, qu’avez-vous à nous offrir, à nous, les peuples vaincus d’Ibérie ? Raisonnons ensemble à ce sujet, vous et moi. Est-il juste, selon les dieux, que vous nous imposiez vos lois à la pointe de l’épée ? Qu’avons-nous fait à votre égard pour justifier cela ?

Vous avez perdu » répond le centurion. Je suis un soldat et non un philosophe. Tu es un vieil homme et non un soldat. Et si tu ne lâches pas ces rênes, tu cessera également d’être un vieil homme. »

En raison des récents événements survenus à Providence College, où j’enseigne, j’en suis venu à voir que le camp gagnant de la dénommée guerre des cultures n’a aucun intérêt dans une conversation rationnelle ou pondérée sur les problèmes névralgiques de notre temps. C’est à dessein que j’emploie le mot « intérêt ». Il n’ont rien à y gagner.

Nous pouvons demander jusqu’à épuisement ce qu’ils signifient par « mariage» lorsque la chose n’est pas enracinée dans la biologie fondamentale de l’être humain, et ce qui justifie qu’ils mettent néanmoins certaines limites à sa définition. Si on accepte un homme et un homme, pourquoi pas un homme et une femme… et une autre femme.

Pourquoi ne pas redéfinir l’éphémère ? Pourquoi ne pas redéfinir ce que l’on avait l’habitude de nommer adultère ? Ce pourrait être deux frères âgés qui vivent ensemble sans pratiquer la sodomie.

C’est sans importance. Le but visé n’a jamais été la cohérence rationnelle ou même un souci pour le bien commun. Le but, c’est le pouvoir : obtenir ce qu’ils veulent, le garder, et écraser ceux qui les questionnent sur leur droit à le faire.

Donc, maintenant, ils ont le pouvoir. Un pouvoir gagné, non par les arguments, il y en a eu très peu, mais par une combinaison de force politique, de sentimentalisme des médias, de lassitude du public et d’une anti-culture de licence et de désintérêt pour les enfants.

Pourquoi se fatiguer à argumenter ? Le centurion sur son cheval n’argumente pas. Il brandit son épée. Nous pouvons jusqu’à épuisement poser la question de savoir ce qu’ils entendent par « culture » quand ils emploient le terme « multiculturel ».

Je suis un défenseur passionné des cultures – leurs coutumes, leurs cultes, leurs langues, leurs traditions vénérables, leur art, leurs chants, et ce qu’il y a de bon dans leur existence même. Mon cauchemar : un Occident post-chrétien homogène, se propageant comme une moisissure sur toute la surface du globe, réduisant toutes les cultures à la même lassitude profane, un monde sans fin.

Un Seattle universel me révolte. Quand j’entends que les gouvernements occidentaux et les sociétés philanthropiques utilisent jusqu’à la nourriture pour soudoyer les plus pauvres nations d’Afrique afin qu’elles adoptent une éthique séculière occidentale, je bous d’indignation. Quand j’entends qu’un Gallois sur six seulement sait encore parler le yr heniaith, le vieux langage, et que le Gallois est la mieux portante des langues celtiques, je secoue la tête de déception.

Je ne veux pas que les tribus de la « première nation », au Canada, se gouvernent en vue de gagner l’approbation du Nouveau Parti Démocrate, radicalement laïc et féministe. Je veux qu’ils soient d’abord leur propre nation.

Je peux vouloir ces choses, et je peux enseigner à mes étudiants la culture babylonienne, hébraïque, grecque, romaine, de l’Eglise primitive, germanique, médiévale européenne (différente en Italie de ce qu’elle était en Angleterre), de la Renaissance (différente en Espagne et en Allemagne) et ainsi de suite, étudiant les langues originelles afin d’être capable de leur enseigner le meilleur, et d’une certaine façon rien de tout cela n’a d’importance, ni l’indéniable et vertigineuse quantité, ni les cultures.

Je peux montrer toutes ces choses, et c’est comme essayer de raisonner avec le centurion. Cela n’a pas d’importance parce que cela n’en a jamais eu. Ce qui compte, c’est ce qui a toujours compté jusqu’ici : la victoire politique.

Voulez-vous montrer que le bébé dans le ventre de sa mère ressent la douleur ? Vaste défi. Montrer que les garçons sans père sont vulnérables à des tas de mauvaises choses, y compris la prison ? Qui vous a mis dans la tête cette idée étrange que les garçons avaient quelque importance ? Montrer les splendeurs de la littérature anglaise, que vous êtes avide de faire découvrir à tous vos étudiants, sans exception ? Bof, quel usage politique peut-on en faire ?

Dites que pour le bien du reste du monde, une université catholique devrait être clairement catholique, être différente des autres, pour offrir aux jeunes gens une réelle diversité parmi laquelle choisir, selon votre vision de l’ampleur des options éducatives, vous serez taxé d’étroitesse d’esprit et de ringardise.

Faites l’idiot et partez du principe qu’à l’université tout ce qui est humain peut être discuté rationnellement, et il vaut mieux pour vous que vous n’ayez pas d’hypothèque à rembourser. Vous apprendrez vite que les professeurs prisent « la liberté théorique » tout autant et de la même manière que les centurions prisent les chevaux : pour les emmener où ils veulent aller et pour piétiner leurs adversaires.

Par nature, de tels professeurs ne sont ni meilleurs ni pire que quiconque. C’est seulement qu’ils ont, qu’ils le reconnaissent ou pas, échangé le Dieu du ciel contre un dieu de prestige et de pouvoir. La politique est ce dieu.

Peu importe quelle sorte de politique. J’ai vu une dynamique similaire se jouer dans une université conservatrice. Aussi longtemps que vous adoptez la « bonne » politique, vous êtes comme le païen qui s’est assuré la faveur des dieux par les rites sacrificiels adéquats.

Vous pouvez alors agir à votre guise. Vous pouvez par exemple vous mettre en quatre pour ruiner des réputations et des carrières et bouleverser des familles ; tout cela est justifié, tout cela est pour le bien de la « cause ».

Y a-t-il des défenseurs de la laïcité vertueux, ayant un grand sens de l’honneur, qui se lèveront pour défendre votre liberté ? Oui, certainement. J’en compte un parmi mes amis. Selon mon expérience, ils sont rares, comme les saints. Passez maintenant au crible toutes les universités du pays et vous en trouverez peut-être suffisamment pour constituer une petite escouade.

A bon entendeur…


Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il enseigne à Providence College.

Illustration : enluminures d’un manuscrit des commentaires de l’Apocalypse par Beatus de Liébana (moine espagnol du VIIIe siècle), vers 1100 [British Library – Londres]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/12/29/speak-truth-to-power/