Des vies qui ne valent rien - France Catholique
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Des vies qui ne valent rien

Traduit par Bernadette Cosyn

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A l’heure où « Les vies de Noirs ont de la valeur » est devenu un slogan très efficace, il est ironique que dans la Washington très afro-américaine, le conseil municipal s’empare de la question du suicide médicalement assisté.

La contradiction était palpable dans un article sans fard sur les réactions des citoyens, publié récemment par le Washington Post. Réactions qui tendaient à considérer la mesure comme visant les Noirs. En total contraste avec l’éditorial radieux du même journal sur ce sujet, les résidents du district n’ont pas tardé à exprimer leurs plus noires suspicions. Intuitivement, ils savaient que l’option du suicide assisté, une fois ouverte, ne serait pas facilement contenue dans les limites d’un libre choix véritable.

Des pressions, certaines subtiles et d’autres moins, seront inévitablement mises en œuvre. Les propos juridiques rassurants, quel que soit leur nombre, ne pourront lever la suspicion que l’option suicide deviendra un moyen de se débarrasser des membres les plus pauvres et les plus marginaux de la communauté.

Comme avec tant d’initiatives paternalistes, il n’est pas nécessaire d’imputer un but abominable aux gens cherchant à faire adopter cette mesure. On peut faire du mal sans en avoir eu l’intention. C’est particulièrement le cas quand l’intention est de soulager, par compassion, les souffrances de malades en phase terminale.

Le dommage provoqué par le suicide médicalement assisté ne réside pas dans le risque d’abus ou dans la ruine de la relation médecin-patient, mais dans le concept même. Quand bien même personne ne serait euthanasié, l’État, ou dans ce cas précis le district, a déjà déclaré que certaines vies n’ont aucune importance.

Une fois que la souffrance ou le fardeau a atteint un niveau suffisant, les malades ou leurs médecins ont le droit d’en finir. Les professionnels du monde médical, qui sont en première ligne de la confrontation, sentent s’ouvrir l’abîme.

Mais c’est pareil pour nous qui sommes des parents, des amis, des concitoyens. Pouvons-nous juger, ce que nous devrons faire si nous accédons à la requête du patient, que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue ?

C’est tout spécialement quand nous croyons agir pour les plus nobles motifs que ces motifs doivent être scrutés le plus attentivement. Cette aide à autrui ne dissimule-t-elle pas un respect amoindri pour les autres ? Je ne dis pas cela pour suggérer l’inéluctabilité d’une dérive qui étendrait le suicide assisté de la phase terminale d’une maladie à une simple infirmité. C’est tout simplement pour montrer la dévaluation de la vie qui se produit quand nous osons juger de la valeur d’une vie.

Même si le patient en phase terminale est enclin à considérer sa vie comme ne valant plus la peine d’être vécue, nous ne pouvons tout simplement pas prendre son abattement comme décisif. Notre responsabilité est d’affirmer que, même en ces derniers jours, sa vie n’est que plus précieuse.

La mort n’est pas la fin de la vie, mais le moment où elle est vécue le plus profondément. Une vie entière peut devenir proche par une pression de main. Nous sommes en relation même dans la mort. C’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter la mort comme la fin de la personne, car les mourants nous ont parlé d’au-delà des frontières qui les entourent. C’est seulement en suivant la logique de l’euthanasie que nous commençons à voir la source de l’imbroglio dans lequel nous sommes pris. Pensant agir avec compassion, nous avons collaboré à l’exécution d’une personne. Mais alors nous avons annihilé la personne que nous avions l’intention de servir.

Le suicide ne peut jamais être un traitement médical parce que tous les traitements présupposent l’existence d’un patient à servir. La pratique de la médecine subit une étrange distorsion si elle inclut l’élimination de ses patients.

De même, la communauté politique a pour première obligation de préserver la vie, la liberté et le bonheur de ses membres. Elle ne peut déclarer simplement qu’ils seraient mieux servis si on leur ôtait la vie. C’est pour cela que nous ne pouvons pas inscrire un « droit à mourir » dans notre schéma constitutionnel.

Le soin aux mourants ne peut pas inclure l’administration délibérée de la mort. Quand Mère Térésa sortait dans les rues de Calcutta pour ramener chez elle les mourants, ce n’était jamais pour hâter leur fin. Au contraire, c’était pour leur prodiguer autant d’amour que possible durant les derniers jours et dernières heures de leur vie.

Nous ne pouvons pas dire « Vous avez une valeur inestimable » pour ensuite déclarer en hâtant la mort : « Vous n’avez plus aucune valeur ».

Tout comme la compassion ne peut pas inclure la suppression des autres, la liberté ne peut pas inclure la suppression de la vie, qui est la condition de son existence. Nous ne pouvons pas nous vendre nous-mêmes comme esclave parce que c’est littéralement impossible. De la même manière nous ne pouvons pas considérer la suppression de notre liberté comme un exercice légitime de la liberté.

En jugeant qu’une certaine forme de vie n’a plus de valeur, nous avons assombri toute vie humaine. Maintenant, toute vie devient susceptible d’évaluation, et pas conséquent à cette négociation où les plus forts sont presque toujours victorieux.

En autorisant le suicide médicalement assisté, le danger n’est pas que quelques individus soient expédiés par erreur avant leur heure, c’est que nous placions la primauté du droit à la vie sous la coupe de notre compréhension toute politique.

Si la vie n’est plus un absolu, alors aucun de nos droits n’est inviolable. Au lieu de voir toutes les vies humaines comme sans prix, nous avons mis un prix sur chacune d’entre elles.

David Walsh, un nouveau contributeur, est professeur de politique à l’université catholique américaine. Il est également l’auteur de plusieurs livres.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/05/lives-that-dont-matter/