Des pasteurs qui « ne jugent pas » - France Catholique

Des pasteurs qui « ne jugent pas »

Des pasteurs qui « ne jugent pas »

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J’ai entendu l’autre jour à la radio une publicité pour « les soins dentaires sous anesthésie ». Les soins dentaires sont pratiqués en une seule séance pendant que vous êtes endormi. Vous rencontrez le praticien une première fois pour « une évaluation non moralisatrice ». Quand il inspectera vos dents mal plantées ou absentes, il s’engage à ne pas sursauter d’horreur, et à ne pas non plus vous faire un sermon. En refusant de juger la qualité de nos sourires, il ne révèle sûrement pas son incapacité à évaluer notre dentition. Mais le terme est ambigu, et son contraire, « moralisateur » est devenu de plus en plus une redoutable arme de destruction morale.

Actuellement, nombreux sont ceux qui attendent de la religion qu’elle « ne soit pas moralisatrice ». Apparemment, en ce moment, il y a rupture de stock dans l’estime de soi. Par conséquent on demande que les prêtres (ainsi que les pasteurs et les imams?) soient charismatiques et – surtout, surtout – non moralisateurs. Tout cela en vue de nous rendre capable « d’être en paix avec nous-mêmes », peu importe les comportements.

Quelqu’un m’a récemment parlé d’un professeur de religion qui a été appelé par un père inquiet. Le professeur présentait la foi catholique de façon méthodique. L’un des sujets à venir était l’amour et le mariage. Ce père voulait avoir l’assurance qu’on n’allait pas enseigner à sa jeune adolescente que le mode de vie lesbien de sa sœur aînée était immoral.

Si la plus jeune sœur revenait à la maison avec une compréhension nette et précise de ce qu’est le mariage chrétien, elle deviendrait irrémédiablement « moralisatrice » – donc une personne vraiment horrible – du moins selon le jugement de papa. Et elle pourrait même se voir refuser l’entrée dans l’une ou l’autre université en raison de son « intolérance ». Voyez-vous, adhérer à la foi catholique et vivre selon ses préceptes est « moralisateur » et ruine l’éducation – et même des carrières.

Et pourtant, demander des autorités « qui ne jugent pas » défie la logique. Si un criminel tente d’entrer par effraction chez vous et que vous appeliez le 911 (note : l’équivalent, aux USA, de notre 17) vous ne voudriez pas qu’on vous envoie un inspecteur « qui ne juge pas » afin qu’il tienne compagnie au cambrioleur durant son expédition. Au tribunal, alors que vous cherchez à récupérer 500 dollars de surfacturation, vous ne voudriez pas que le magistrat « ne juge pas ». Quand un médecin vous diagnostique un cancer pernicieux nécessitant un traitement urgent, avoir affaire à quelqu’un qui « ne juge pas » est bien le dernier de vos désirs.

De fait, les autorités qui, dans ces circonstances, « ne jugent pas » seraient négligentes, voire même criminelles. Ceux qui militent pour une morale « non moralisante » en tombent d’accord, mais ce faisant ils rendent le terme « non moralisant » inintelligible, si ce n’est comme nom de code d’une « nouvelle morale ».

Dieu a créé l’intelligence pour penser, faire des distinctions et formuler des jugements fondés. Formuler un jugement sans preuves suffisantes est généralement scandaleusement imprudent (quoique pas toujours – demandez donc à quelqu’un de l’antiterrorisme, qui, pour nous protéger, doit agir en fonction des seuls indices dont il dispose). L’incapacité ou le refus de juger peut être soit vertueux, soit vicieux. Nous sommes par exemple incapables de juger l’état de l’âme d’une personne. Nous n’aurons jamais les indices suffisants pour déterminer si quelqu’un est condamné à l’Enfer. Dieu seul peut juger l’âme. C’est pour cela que Jésus dit : « ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. »

Mais quand nous avons des indices suffisants – comme lorsque le médecin diagnostique un patient – nous devons obligatoirement formuler un jugement. Quand nous avons suffisamment de preuves que certains comportements sont coupables, nous avons obligation de les juger ainsi. Bien qu’il puisse nous arriver de manquer de charité et même d’être cruel en ayant exercé correctement notre jugement, avoir manqué de charité n’implique pas que nous jugions « à l’emporte pièce ». L’erreur n’est pas dans le jugement mais dans le mauvais usage qui est fait d’un jugement correct.

De plus en plus, l’idéal « de non condamnation » est utilisé pour réduire au silence la proclamation de l’Evangile, trahissant la racine diabolique du mot. Quand une personne est décrite comme « ne condamnant pas », le mot peut évoquer une propension à la gentillesse. Une telle personne « accepte les gens tels qu’ils sont », sans se préoccuper de leur comportement.

Mais sous ce vernis, on trouve la complaisance et l’apathie, l’incapacité à voir le mal, le narcissisme, un désir pathologique d’être apprécié, la propension à aller dans le sens du courant, du moment que tout le monde est satisfait. C’est pour cela qu’il y a tant de prêtres « qui ne jugent pas », en dépit des milliers de dollars que le peuple de Dieu a dépensé pour la formation de chacun d’entre eux durant leurs années de séminaire, une formation qui devrait avoir inclus des cours approfondis de logique et de théologie de la morale catholique. Décrire Jésus Lui-même comme « ne jugeant pas », c’est non seulement inexact, c’est proprement superficiel et offensant.

De même, étiqueter un prêtre comme « ne jugeant pas » est accablant. Cela signifie qu’il est incapable de penser clairement, qu’il conforte ses ouailles dans leurs erreurs morales et ne prend pas position contre la nouvelle morale séculière de l’approbation polie. Cela signifie qu’il n’a pas le courage de mettre en garde ses ouailles contre le péché mortel et les feux de l’Enfer.

Les hommes d’église « qui ne jugent pas » ne se soucient pas des brebis perdues. Les clercs « non moralisateurs » ont conclu un marché avec le mal et jouissent de l’adulation de leurs ouailles. Ils sont des mercenaires, de mauvais bergers, des anti-Christ. (j’espère ne rien avoir oublié.)

C’est pour une bonne raison que le Seigneur s’est intitulé Lui-même le « Bon Berger » plutôt que le « Berger qui ne condamne pas ». Le Christ était compatissant pour les infirmes et les handicapés ; miséricordieux mais ferme vis-à-vis de la femme prise en flagrant délit d’adultère (« va et ne pèche plus ») ; courageux quand il traitait les Pharisiens « d’engeance de vipères ». Il mettait les haineux en garde contre les feux de l’Enfer. Il était inébranlable en condamnant l’adultère. Et il a souffert vaillamment sur la Croix pour tous nos péchés – y compris l’avalanche de nos jugements irréfléchis et de nos manquements à la charité chrétienne. Le Christ est la vérité personnifiée.

En contraste avec le code moral séculier du « non jugement », le vocabulaire de la Foi est agréablement clair. Etre « bon » inclut des vertus telles que la justice, la miséricorde, l’honnêteté, le respect, la gentillesse, la générosité, la prudence, le courage, la tempérance, la chasteté, la charité et la vérité. Le Christ est le « Bon Berger » précisément parce qu’il révèle et enseigne la bonté du Père Céleste. Et nous pouvons être bon à notre tour si nous Le suivons vraiment sur Son chemin vers la gloire divine. Il est vertueux et saint d’encourager ceux que nous aimons à agir ainsi.

Le père Jerry J. Popkorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est curé de la paroisse Saint Michel Archange à Annandale (Virginie).

Illustration : « Le Bon Berger » par Eric Gill (1926)

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/04/24/non-judgmental-shepherds/