De l’Importance de l’Amitié - France Catholique

De l’Importance de l’Amitié

De l’Importance de l’Amitié

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Un des grands appauvrissements de la vie contemporaine américaine est la difficulté de nouer et de garder des amitiés fortes avec d’autres hommes. (Dans l’ensemble, les femmes semblent meilleures dans ce domaine). Une des rares fois où j’ai vu des groupes d’hommes qui se rencontraient régulièrement devant une télévision, chez eux, dans un bar ou un restaurant, c’était pour regarder du sport. La plupart du temps, ces hommes sont d’abord là pour profiter du sport, pas pour être ensemble. Cependant, il n’y a rien de mal à profiter du sport, de loisirs et d’activités sociales ensemble. Un aspect important du lien des hommes se retrouve souvent autour de vocations ou d’activités de loisir communes. Pourtant, il y a souvent une dimension plus profonde de l’amitié qui manque.

Psychologiquement et émotionnellement, le manque d’amitiés profondes entre les hommes américains est une cause importante de ce qui est peut-être le plus grand fléau qui affecte la société américaine : la solitude. Il y a beaucoup de raisons à cela, y compris les parents absents ; les déménagements fréquents des familles qui déracinent les individus du soutien d’une famille au sens plus large et des amis (Facebook et Instagram n’étant que de pauvres substituts) ; le marketing de notre culture consumériste de nos biens matériels qui passe avant les relations humaines ; le culte de la jeunesse.

Comme un auteur l’a écrit un jour, « l’homme moyen américain a un bon ami, et c’est sa femme », (ou, plus probablement dans notre ère de déclin du mariage, ‘son autre personne significative’). Quiconque a passé une longue période dans un pays ayant un arrière-plan culturel catholique (même si la pratique religieuse actuelle a chuté) a sûrement remarqué à quel point les hommes américains ont été affectés par la culture majoritairement protestante aux Etats-Unis, qui met l’accent sur l’individualisme. Il y a une image puissante, une figure isolée de l’homme dans la culture américaine : l’aventurier autonome qui s’en va au coucher du soleil ; le «  type fort et silencieux » qui cache ses sentiments derrière une carcasse extérieure ; l’homme qui ne répond qu’à sa propre conscience.

Le déclin des enclaves traditionnelles des hommes, comme des collègues ou des camarades du même sexe, ainsi que la diminution (et se rendre à la culture) de ces anciens bastions de l’enfance, comme les Scouts, ont rendu plus difficile la tâche pour les jeunes de former des amitiés profondes et durables. Pour les adultes, la disparition de beaucoup d’anciens clubs américains et des organisations fraternelles a un effet similaire.

Pour s’éloigner des simples camaraderies, des collègues, ou des connaissances pour nouer des amitiés, nous devons être présents pour eux. Nous ne pouvons pas vraiment dire que la vraie amitié existe jusqu’à ce que nous nous ouvrions à des questions humaines plus profondes : qui est l’homme, d’où vient-il, où va-t-il dans sa foi, sa famille et son travail. De telles amitiés entre les hommes chrétiens les conduisent à grandir et à être transformés en Christ, avec le résultat inévitable de créer un environnement chrétien autour d’eux.

Voilà pourquoi les vraies amitiés sont compliquées dans toutes leurs dimensions de la personne humaine, y compris la dimension spirituelle. Tout au long de l’histoire de l’Eglise, commençant par le Seigneur lui-même, la chrétienté s’est étendue principalement par le biais de rencontres en tête-à-tête qui, grâce à la procréation, ont alimenté sa dynamique de croissance, des douze apôtres au milliard de catholiques d’aujourd’hui. Mais des milliards d’autres attendent aujourd’hui la bonne nouvelle et beaucoup prétendent que les catholiques doivent être à nouveau évangélisés.

Parmi les saints et les bienheureux qui ont défendus ou illustrés l’importance de l’amitié Chrétienne, le bienheureux John Henry Newman était un des meilleurs. Tout au long de sa vie, le Bienheureux John Henry avait un grand talent pour nouer des amitiés chrétiennes et les garder. Dans un de ces Sermon Paroissial Simple (Plain and Parochial Sermons) il demandait « qu’est-ce qui peut lier deux amis dans une conversation intime de plusieurs années, si ce n’est la participation à quelque chose d’Inchangeable et essentiellement Bon ? Quoi d’autre que la religion ? … Les Saints de Dieu continue dans un sens, alors que les modes du monde change ».

L’intelligence brillante de Newman ne l’a jamais aveuglé sur l’importance cruciale de l’élément humain dans la transmission et la conservation de la foi : « Les personnes nous influencent, les voix se mélangent, les regards se soumettent, les actions attisent. Beaucoup d’hommes veulent vivre et mourir sur un dogme ; aucun homme ne sera martyr pour une conclusion ». Dans son sermon sur L’amour des Relations et des Amis (Love of Relations and Friends), Newman a attiré l’attention sur l’exemple de l’amour spécial de Notre Seigneur pour saint Jean :

Nous savons que notre Sauveur avait un ami proche, et cela nous montre, d’abord combien c’était un homme tout comme nous dans ses désirs et ses sentiments ; et ensuite, qu’il n’y a rien de contraire à l’esprit de l’Evangile, rien d’incompatible avec la plénitude de l’amour Chrétien, en ayant des préférences pour certains objets en particulier, vers ceux qui ont eu un impact sur notre vie passée, ou des particularités de notre caractère, qui nous font nous aimer les uns les autres.

Il a poursuivi : “ Certains hommes avant aujourd’hui ont supposé que l’amour chrétien était tellement diffus car ils ne voulaient pas admettre qu’il était concentré sur certains individus ; pour autant, nous devrions aimer tous les hommes de la même façon. Maintenant, je devrais dire, en opposition avec de telles notions sur l’amour Chrétien, et en me basant sur le modèle de notre Sauveur, que la meilleure préparation pour aimer le monde largement, et l’aimer dûment et sagement, est de cultiver une amitié intime et affectueuse envers ceux qui sont proches de nous. »

Tout comme le Christ, bien qu’il soit mort pour nous, a un degré d’amour différent pour chaque personne, Newman dirait également que nous sommes appelés à nous préoccuper du salut de tous, mais dans le même temps, à profiter en tout point d’une amitié intime basée sur les goûts et caractéristiques de Dieu.

Comme Newman, je suis convaincu que l’Evangile sera effectivement plus répandu par la société et non pas le sanctuaire des paroisses locales, mais par les vraies amitiés mutuelles et enrichissantes. Tant les individuels que l’Eglise dans son ensemble seront handicapés si ces vraies amitiés manquaient d’une moitié, celle de l’homme, que celle du Corps du Christ.

Dimanche 8 mai 2016


Le père C. John McCLoskey III est un historien de l’Eglise et un chargé de recherche non-résident du Faith&Reason Institute.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/05/08/on-the-importance-of-friendship/

Illustration : Des hommes ensemble : Clark Gable, Cary Grant, Bob Hope et David Niven lors des répétitions pour les 30èmes Academy Awards (1968) [Leonard McCombe for Time-Life Pictures/Getty Images]