Curé « à la vie à la mort » ? - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Curé « à la vie à la mort » ?

Comment envier la stabilité quand on est curé d’une paroisse désertée ou enclavée ? Des prêtres exemplaires ont répondu à cette question. Comme l’abbé Michel Guérin, curé de Pontmain (Mayenne) de 1836 à 1872.

L'abbé Guérin à Pontmain

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La paroisse de Pontmain en 1907, 35 ans après la mort de l'abbé Guerin.

La paroisse de Pontmain en 1907, 35 ans après la mort de l'abbé Guerin.

La stabilité ecclésiastique, au XIXe siècle, en France, dans l’Église concordataire, est perçue par certains prêtres comme un piège qui les contraindra, leur vie entière, à rester dans une paroisse qui ne leur plaît pas, seuls s’ils sont en zone rurale, sans espoir, ou presque, d’obtenir « mieux » un jour. Dépression, alcoolisme, découragement, abandon de poste, manquements plus ou moins graves aux devoirs de leur état découlent de ce malaise et laminent, au fil du temps, des vocations pas toujours solides ou motivées par le désir de s’élever dans la société. Crise post-révolutionnaire Nombre de jeunes prêtres font l’impossible pour obtenir des postes en ville ou dans de gros bourgs, assez proches de l’évêché pour n’être pas oubliés de Monseigneur, assez riches pour leur fournir logement et casuel décents. Cette attitude, surtout dans la première moitié du siècle, quand la crise des vocations post-révolutionnaire se fait cruellement et durablement sentir, prive de desservants maintes paroisses excentrées ou trop déchristianisées pour que l’on s’intéresse à leur sort. Près d’un tiers de celles qui existaient avant la Révolution a été supprimé en 1802, faute de clergé, leurs populations rattachées à d’autres communautés, ce qui accélère l’éloignement de la pratique religieuse. Quant aux autres, les ordinaires peinent souvent à y pourvoir et les initiatives individuelles, telle celle de l’abbé Basile Moreau du Mans, fondateur de la congrégation Sainte-Croix, en 1837 – pour pallier le manque de prêtres et d’instruction chrétienne dans les campagnes, dans la région du Mans, après la Révolution –, tardent à porter du fruit. Il manque des hommes pour se vouer à cette tâche ingrate, sans gloire humaine, à la différence des Missions exotiques. Un village de 200 âmes, comme Ars, au fond des Dombes, terre jugée « perdue » par l’Église, n’obtient un desservant qu’en raison des relations de sa châtelaine ; encore y envoie-t-on l’abbé Vianney, parce que ses supérieurs le mésestiment… En fait, à Ars ou ailleurs, le relèvement d’une terre de chrétienté tient à deux facteurs : un prêtre pieux, sacrifié, donné à sa mission, et la volonté de l’aider. De tels prêtres, il en existe. Le cas de Michel Guérin en est la parfaite illustration. Né en 1801, ordonné en 1829, ce fils d’artisans citadins, sans expérience de la ruralité, demande « la paroisse la plus déshéritée » du diocèse du Mans, alors le plus grand d’Europe. On le nomme vicaire de Saint-Ellier, bourg aux confins de la Mayenne et de la Bretagne, à 150 kilomètres de l’évêché, gagné aux idées nouvelles. Très vite, il découvre qu’il y a plus à plaindre. À « une grosse lieue » de Saint-Ellier, il y a Pontmain, village de 600 âmes, resté catholique bien que privé de prêtre depuis la Révolution, mais où la pratique diminue. Une communauté pauvre En arrivant à Ars, l’abbé Vianney soupire : « Laissez un village dix ans sans prêtre, l’on y adorera les bêtes » ; à Pontmain, la situation est moins grave mais l’on n’est pas loin du point de rupture. Il faut un desservant sur place à plein temps qui reprenne en main cette communauté pauvre et désespérée. L’abbé Guérin se battra sept ans pour obtenir le poste, à défaut du titre curial. En novembre 1836, quand il s’installe enfin, tout est à reconstruire, matériellement et spirituellement. S’estimant « marié à sa paroisse », il consacrera à « son petit peuple » le reste de sa vie. Mortifié, privé de tout, il n’a qu’une angoisse : être muté ou mourir avant d’avoir rendu sa « chère épouse » désirable pour un successeur. Se tenant pour « le dernier des prêtres du diocèse » et incapable de remédier aux problèmes, il place d’emblée son ministère sous la protection de la Sainte Vierge. C’est elle qui l’aidera à ramener les gens à son Fils, à la messe, aux sacrements. La restauration d’une église qui menaçait ruine, véritable « étable de Bethléem », puis son agrandissement, l’achat des ornements nécessaires, calices, ciboires, statues, cloches, lui prendra un temps infini, car il n’estimera jamais en avoir assez fait pour la gloire de la Maison de Dieu. Les métamorphoses du bâtiment reflètent celles des cœurs. Une étonnante résurrection En quelques années, fort de sa piété mariale, il fait de la paroisse du doyenné qui comptait le moins de messalisants et de pascalisants un bastion de pratique régulière, et un foyer ardent de dévotion eucharistique, comme l’attestent les foules attirées à ses Fête-Dieu ou aux adorations perpétuelles. Confrères et missionnaires de passage décriront bientôt Pontmain comme une étonnante exception où se sont « conservées les mœurs patriarcales ». En parallèle de ce relèvement moral, l’abbé Guérin, très soucieux de la question sociale, entame contre l’administration et la mairie de Saint-Ellier une lutte acharnée pour faire rendre à Pontmain les droits qui sont les siens, récupérer les lits d’hôpital qui lui reviennent, fonder école et dispensaire, bureau de bienfaisance afin d’assister les pauvres, obtenir désenclavement, création de commerces de première nécessité, assainissement, etc. Tâche de longue haleine, usante, dont seul le temps viendra à bout. Ainsi, à la transformation morale des villageois s’ajoutent une transformation économique et un embellissement du bourg bien visibles, fruits d’un labeur de trente-six ans auquel seule la mort mettra fin. Il serait possible de dresser le même constat en d’autres paroisses à la même époque et seule l’apparition de Notre-Dame à Pontmain le soir du 17 janvier 1871, sceau posé sur l’œuvre du vieux prêtre, attirera l’attention sur son exceptionnelle réussite. Piété vive, foi à déplacer les montagnes, totale oblation de sa vie et de sa personne : tel fut l’abbé Guérin. Reste que, s’il n’avait disposé du temps nécessaire à ce relèvement, les résultats n’auraient sans doute pas été au rendez-vous.
—  michel_guerin_pontmain_la_simplicite_et_la_grace.jpgLa simplicité et la grâce. Michel Guérin, le petit curé de Pontmain. 150e anniversaire de l’apparition, Anne Bernet, éd. Artège, janvier 2022, 640 pages, 26 €.