Crise : une solution monétaire ? - France Catholique
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Crise : une solution monétaire ?

Édouard Husson, historien, spécialiste de l’Allemagne contemporaine et Norman Palma, docteur en économie, expliquent la crise qui affecte l’économie mondiale par les dérèglements provoqués par le dollar. Pour sortir du désordre monétaire et de la récession économique, ils proposent de refonder le système international sur la monnaie métallique. D’inspiration rigoureusement libérale, leur thèse devrait soulever un vaste débat entre les libéraux et entre les deux écoles – libérale, keynésienne – qui s’opposent actuellement. Édouard Husson, Norman Palma, Le capitalisme malade de sa monnaie, Considérations sur l’origine véritable des crises économiques, F.-X. de Guibert,19 euros.
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La question des origines de la crise a été posée avant que les États-Unis ne subissent, en août 2007, la secousse immobilière – crise dite des « subprime » – qui ébranle actuellement le système financier et l’économie mondiale. Les économistes qui avaient prévu que les choses finiraient mal discutaient depuis des années sur le point de savoir si les causes profondes du dérèglement manifeste du système étaient d’ordre financier (la distribution excessive de crédit), commercial (le libre-échange généralisé) ou s’il fallait mettre en cause le rôle du dollar comme monnaie internationale et son utilisation par les États-Unis.

Pour Édouard Husson et Norman Palma, la maladie du capitalisme est principalement monétaire : c’est le système de l’étalon-dollar qu’il faut dénoncer – et plus généralement l’utilisation du papier-monnaie. De cette critique en règle résulte une solution à la crise, plus complète et plus radicale que la politique monétaire envisagée naguère par le général de Gaulle : pas seulement le retour à l’étalon-or mais le retour aux deux monnaies métalliques – argent et or. Cette solution peut surprendre et même faire sourire à première vue. Elle est pourtant très solidement argumentée sans recourir à une technicité par trop fréquente et rebutante dans ce genre de débat : au contraire, Édouard Husson et Norman Palma ont eu le souci – rare – de fonder leurs analyses et leurs propositions sur les plus fortes traditions philosophiques et théologiques de notre civilisation.

Comme souvent, il faut commencer par relire Aristote qui dit l’essentiel : la monnaie (nomisma), c’est de la loi (nomos), c’est-à-dire une convention juridique. Cette monnaie est l’instrument de l’échange – instrument qui, dès son invention, s’est présenté sous forme d’espèces sonnantes et trébuchantes d’or et d’argent. Deux monnaies de métal : c’est le traditionnel régime bimétallique qui a régi les sociétés marchandes jusqu’à la première moitié du XIXe siècle.

Dès l’Antiquité, on sait que la mon­naie est à la fois l’instrument qui permet de mesurer la valeur des biens et des services (c’est même un équivalent universel qui permet les justes allocations de monnaie), l’instrument de l’échange, un instrument de réserve (on la garde en vue de dépenses futures) mais aussi le moyen de thésauriser : on garde son argent pour le plaisir d’avoir de l’argent. Ce faisant, on l’empêche de circuler et on appauvrit la société. D’où la condamnation par Aristote du prêt à intérêt.

Nos deux auteurs rappellent que la condamnation de l’usure est commune au judaïsme, au christianisme et à l’islam : « Si vous ne renoncez pas à l’usure, attendez-vous à la guerre de la part de Dieu et de son Prophète » dit le Coran (sourate II, 279). « Tu exiges un intérêt et une usure, tu dépouilles ton prochain par la violence », lit-on dans Ézéchiel 22,12. Le christianisme condamne également la thésaurisation et l’usure. Édouard Husson et Norman Palma soulignent que « c’est pour éviter la pratique de l’usure et des taux d’intérêts abusifs pratiqués à l’époque que les Franciscains créèrent en 1462 le Mont-de-piété. En effet, ces institutions pratiquaient des prêts sans intérêt, sur les biens gagés, inférieurs de plus de 50% à la valeur réelle de ces biens. »

C’est beaucoup plus tard, avec la levée de l’interdit pesant sur l’usure, que le capitalisme financier put prendre son essor en Italie puis en Grande-Bretagne. La monnaie détenue par les banques sert au crédit et à l’investissement, l’usage du billet de banque se développe mais le système monétaire reste fondé sur le bimétallisme jusqu’en 1810 : c’est cette année-là que l’Angleterre choisit le monométallisme sous les espèces de l’étalon-or. Le reste du monde fait le même choix entre 1820 et 1870 si bien que le système monétaire international a plus ou moins fonctionné avec l’étalon-or entre 1876 et le 5 avril 1933 – date à laquelle le président Roosevelt supprime l’étalon-or aux États-Unis avant de décider, en 1934, la dévaluation du dollar.

Les décisions de Franklin D. Roosevelt sont généralement approuvées par les manuels d’Histoire et d’Économie. Édouard Husson et Norman Palma les dénoncent au contraire avec force : selon eux, elles ont aggravé la crise et accéléré la marche à la guerre. « On peut même aller plus loin encore et juger que les conséquences négatives de la politique monétaire menée par Roosevelt n’ont pas fini, jusqu’à au­jourd’hui, de provoquer des désastres dans le monde. » C’est pendant le New deal que s’affirme l’idée que le dollar est « aussi bon que l’or » : tel sera le principe du système qui a régi le monde non communiste entre 1944 et 1971. Dans le système de l’étalon de change or, le dollar est la monnaie de réserve internationale qui est garantie par le stock d’or possédé par les États-Unis au taux fixe de 35 $ l’once d’or fin.

Ce système a favorisé le développement de la puissance américaine car le dollar était à la fois une monnaie de réserve et un moyen de paiement partout accepté. Les États-Unis pouvaient régler leurs achats en dollar sans regarder à la dépense car ils étaient persuadés qu’aucun État ne présenterait ses montagnes de dollar-papier pour acheter des tonnes d’or.

Le général de Gaulle osa pourtant les défier sur ce terrain, en réclamant le retour à l’étalon-or dès 1965. Or ce qui demeurait du système de l’étalon-or n’avait plus que quelques années devant lui : Richard Nixon décida le 15 août 1971 de supprimer la garantie-or du dollar puis les Français et les Américains op­tèrent pour un système de changes flexible qui continue d’exister et qui s’est étendu à l’ensemble de la planète après la chute de l’Union soviétique.

Dès avant le déclenchement de la grande crise, le dollar avait fait preuve de fragilité et c’est pour le soutenir que la banque centrale américaine décida d’augmenter son taux d’intérêt. Le mouvement des monnaies et la politique du taux d’intérêt peuvent paraître très éloignés des préoccupations des citoyens. Au contraire ! Édouard Husson et Norman Palma expliquent que les ménages américains qui avaient emprunté à un taux bas pour acheter leur maison se sont trouvés pris au piège : « Un père de famille, qui avait emprunté début 2004, avec une mensualité de 700 dollars et un salaire de 2000 dollars, s’est retrouvé, à partir du deuxième semestre 2006, avec une facture qui avait éventuellement doublé » – soit 1 400 dollars pour un salaire de 2000 dollars. Ne pouvant assurer leurs échéances, de nombreuses familles ont été obligées de vendre leur maison (gagée le temps du crédit), le marché de l’immobilier s’est effondré, les banques ont perdu de l’argent, le mécanisme du crédit s’est bloqué et l’ensemble du système est entré en crise.

Que faire ? Si la crise est d’origine monétaire, il faut remonter à cette cause première et proposer une refondation du système monétaire. Édouard Husson et Norman Palma ne proposent pas un pur et simple « retour à l’étalon-or ». Prenant acte de « la fin du règne du billet vert », ils souhaitent la création d’une « Unité de Compte Internationale » calculée à partir d’un panier des quatre grandes monnaies (dollar, euro, yen, yuan) plus l’or. Tel serait le système de transition qui permettrait ensuite le retour à l’étalon-or.

Après une période plus ou moins longue de négociations, nous assisterons sans doute à la création d’une nouvelle monnaie internationale en remplacement du dollar : c’est ce que souhaite officiellement la Chine, appelée à jouer un rôle décisif dans ce domaine. Le retour à l’or semble beaucoup plus problématique, ce qui ne doit pas empêcher de prendre la question très au sérieux.