Concile panorthodoxe de Kolymbari - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Concile panorthodoxe de Kolymbari

Malgré les affres de la préparation conciliaire, qui ont conduit quatre des quatorze Églises orthodoxes à renoncer au voyage en Crète, le concile de Kolymbari fut un grand moment d’unité de l’Église orthodoxe, qui compte plus de 275 millions de fidèles dans le monde. Le concile en effet a donné lieu à de vrais débats et a abouti à des consensus sur des sujets aussi importants que le rapport de l’Église orthodoxe à l’unité inter-orthodoxe, à l’œcuménisme, ou à la doctrine sociale.
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Le principal succès du concile fut de proposer une alternative à l’hérésie ethnophylétiste, c’est-à-dire au poids croissant dans l’organisation de la vie de l’Église de l’appartenance nationale sur l’appartenance baptismale au Corps du Christ. Cette hérésie a été condamnée en 1872 mais, comme aucune ecclésiologie alternative moderne ne lui a été substituée, les Églises orthodoxes sont retombées dans le piège du nationalisme et de la fusion avec l’État. Lors du concile de Kolymbari a été affirmée une ecclésiologie baptismale (ouverte à tous les baptisés), eucharistique (centrée sur la communion de l’Église locale) et pastorale (intégrant le lien nécessaire entre les fidèles et leurs Églises d’origine). Ceci a conduit les Pères conciliaires à s’émanciper de l’État. Ceci leur a permis également de critiquer l’autocéphalisme — cette capacité des chrétiens d’une Église locale à élire leur propre chef —, lorsque celui-ci aboutit à un rejet de l’unité inter-orthodoxe. Les Pères conciliaires ne se sont pas privés de critiquer sévèrement « l’égocentrisme ecclésial », comme « la mère de toutes les hérésies » selon le métropolite Anastassios d’Albanie.

La deuxième avancée notable du concile a été le soutien au mouvement œcuménique. Les Églises et confessions chrétiennes voient leurs appellations reconnues par l’Église orthodoxe. Certes, cela a été fait au nom de la fidélité au passé plus que par une conviction unanime. Mais l’important est que cette ecclésialité distincte ait été reconnue. Ceci a été rendu possible par le fait suivant. L’Église orthodoxe est parvenue à s’auto-définir comme participant à l’unique Église du Christ tout en reconnaissant que les frontières de l’Église mystique sont plus larges que celles de l’Église visible. L’Église historique orthodoxe ne trace pas un signe d’égalité absolue entre elle et l’Église mystique (sinon elle ne reconnaîtrait pas la réalité des autres Églises). Mais comprenant dans le même temps sa participation vivante à l’Église une, sainte, catholique et apostolique elle reconnaît qu’elle dispose d’un rôle central pour promouvoir l’unité chrétienne et l’actualisation du Royaume de Dieu sur la terre.

De plus, à bien des égards, on peut considérer que le concile de Kolymbari propose au monde contemporain un dépassement de l’intérieur de la modernité. En effet le meilleur de la modernité est considéré comme un bien de l’Église orthodoxe, à savoir la dignité de chaque personne humaine, la liberté de conscience et d’expression, l’État de droit, ou la séparation de l’Église et de l’État. Mais, pour lutter contre la pléonexie, c’est-à-dire l’avidité, le désir de posséder toujours plus de nos sociétés individualistes et sécularisées, les Pères conciliaires proposent de retrouver le sens de la frugalité, de la gestion et non de la domination de l’environnement, de la mesure et du « sacrifice de soi et non pas d’autrui ».

Bien sûr de nombreux documents restent insuffisants et pourront être critiqués. Ainsi le document qui condamne les mariages mixtes entre chrétiens, tout en les autorisant localement « par économie » ; ou encore le document sur la relation avec les autres Églises qui pose la règle nouvelle dans l’histoire de l’Église de l’unanimité de toutes les Églises locales pour rétablir la communion avec une autre Église chrétienne ; ou encore le document qui tord l’historiographie ecclésiale au point de transformer le concile de Florence de 1439 en une une erreur historique alors que 99 % des évêques orientaux présents l’avaient signé. Cependant dans l’ensemble ce concile fut une grande victoire pour l’Église orthodoxe. Il représente une victoire du patriarche Bartholomée de Constantinople et une victoire de l’unité et de la conciliarité.
Certes quatre Églises orthodoxes furent absentes (Russie, Géorgie, Bulgarie et patriarcat d’Antioche) mais les participants au concile ont considéré que ces retournements de dernière minute étaient injustifiables, même pour des raisons de géopolitique. à la différence des trois autres Églises réfractaires, Antioche a admis que son différend avec Jérusalem sur la question de la pastorale des chrétiens orthodoxes au Qatar explique son refus de participer.

Les trois autres Églises ont préféré justifier leur absence par « l’argument zélote », c’est-à-dire par la crainte que l’hostilité à l’égard du concile des cercles fondamentalistes, rétifs par nature à toute forme de dia­logue, divise l’Église. Pourtant certains experts ont signalé que le conflit latent entre Moscou et Constantinople, notamment sur la question ukrainienne, était la raison authentique du boycott opéré par le patriarche Kirill.

Le fait que le Parlement ukrainien ait voté au moment de l’ouverture du concile le 17 juin en faveur de la reconnaissance par Constantinople de l’Église orthodoxe d’Ukraine n’a fait que confirmer leurs thèses. Cela dit, la question ukrainienne, qui constitue de fait la deuxième Église orthodoxe dans le monde avec vingt-cinq millions de fidèles toutes juridictions confondues, n’a pas été abordée par le concile. Car l’agenda du concile, qui avait été le fruit d’un compromis ancien entre Moscou et Constantinople, était essentiellement ecclésiologique et pastoral.

Comme l’ensemble des Églises orthodoxes avaient donné, le 28 janvier 2016 à Chambésy, leur accord pour la tenue du concile, les Pères conciliaires ont estimé qu’ils devaient tenir leur objectif. Il est déjà arrivé dans l’histoire de l’Église que des conciles aient lieu sans la participation de toutes les Églises et qu’ils soient néanmoins reconnus universellement. Aussi, lors de la liturgie conclusive, le dimanche 26 juin, le patriarche Bartholomée a-t-il cité les noms de tous les primats y compris les quatre absents signifiant par là qu’il ne leur tenait pas rigueur de leur absence.

Bien entendu tout va se jouer dans les prochaines semaines dans les déclarations des quatre Églises absentes pour savoir si ce concile bénéficiera dans les régions qu’elles occupent d’une réception favorable à l’avenir. Cependant l’effort qui a été réalisé en Crète pour intégrer les points de vue les plus conservateurs laisse à penser que la carte zélote ne sera plus suffisante pour empêcher une réception favorable au concile de Kolymbari. Par ailleurs, le concile pourrait bien fournir une solution à la résolution de la gestion des communautés orthodoxes arabes au Qatar. En effet, le texte sur la diaspora propose la création d’assemblées épiscopales interjuridictionnelles pour permettre l’expression de l’unité de foi des Églises orthodoxes hors des territoires traditionnels de l’Église d’Orient. Cette solution, imaginée pour le monde occidental où les Églises orientales n’étaient quasiment pas présentes jusqu’au XIXe siècle, pourrait bien s’appliquer à l’avenir avec profit pour les territoires des Églises mères. En effet, à l’heure de la globalisation, il sera de plus en plus délicat à celles-ci d’arguer de leur autorité exclusive sur ces territoires.