Coeur à cœur - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Coeur à cœur

Traduit par Bernadette Cosyn

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Lors d’une récente retraite, pour éviter les distractions habituelles d’une chapelle bondée durant les conférences, j’ai fermé les yeux. Le résultat a été remarquable. Je me suis retrouvé bien plus attentif au directeur de la retraite, un évêque. En état de cécité, il y avait une rencontre sans obstacle avec la voix posée de l’évêque, son intonation plaisante, sa perspicacité spirituelle percutante. (J’ai également évité avec succès de m’assoupir, contrairement à une retraite précédente où, après avoir fermé les yeux, mes ronflements sont devenus une telle source de distraction qu’un ami m’a donné un coup de coude dans les côtes.)

Cependant, et j’insiste là-dessus, dans certaines circonstances, une certaine forme de cécité peut faciliter l’écoute. (Un article intéressant aborde le « mythe » selon lequel les aveugles ont une ouïe, un goût et un odorat plus développé que le reste d’entre nous.)

Dans l’Évangile, dès les débuts de Son ministère, Jésus est environné par la foule, y compris une coterie de disciples protecteurs, aux environs de Jéricho. L’aveugle Bartimée interpelle Jésus et, après quelques rebuffades des gardes du corps auto-proclamés, Jésus répond à la demande de l’aveugle de retrouver la vue et le guérit. Au premier coup d’œil, le récit attire l’attention sur la nécessité d’être guéri d’une cécité intérieure, la cécité du manque de foi. Et ce n’est pas un mauvais message tout fait pour une homélie.

Mais un examen plus attentif du récit révèle que Bartimée pouvait bien ne pas être aveugle au sens spirituel. Bien que reconnaissant que Jésus venait de Nazareth (ailleurs dans l’Évangile, nous lisons : « peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? »), il fait référence à Jésus comme « fils de David », un titre messianique. A-t-il entendu dire que Jésus était né à Bethléem, la Cité de David ?

Il semble probable que Bartimée était plus attentif aux événements du jour que les membres de la coterie du Christ. Il savait manifestement que Jésus était un faiseur de miracles, mais plus que cela – l’utilisation du titre messianique le révèle – Bartimée semblait avoir conclu que Jésus satisfaisait aux prophéties messianiques des Écritures. Seul un Juif pieux, adonné à l’étude, à la prière et à la contemplation pouvait faire un rapprochement aussi audacieux.

Se pourrait-il que, dans sa cécité physique, alors qu’il assiste aux offices hebdomadaires dans la synagogue libre de distractions mondaines, Bartimée ait « vu » plus loin que même les scribes et les docteurs de la Loi ? Et quand ce Bartimée, probablement dévot, a entendu parler des hauts faits du Christ, sa foi lui a-t-elle permis « d’assembler le puzzle » et d’en tirer la bonne conclusion, à savoir que Jésus est le Messie, le « fils de David » ?

S’il en est ainsi, imaginez la joie dans le cœur de Jésus alors qu’il entend la salutation de l’aveugle. Bien que ne se voyant pas l’un l’autre, il y a eu une véritable rencontre « cœur à cœur », une rencontre d’amour invisible.

Il y a un intermède comique qui mérite d’être cité. Entendant la requête de Bartimée, Jésus finit par s’arrêter et demande à Ses disciples gardes du corps de l’appeler. Les gardes du corps sont d’abord un obstacle à la rencontre de l’aveugle avec le Christ (« et beaucoup le rabrouaient, lui enjoignant de se taire »), maintenant, avec le plus grand sérieux, ils l’admonestent : « courage, lève-toi, Jésus t’appelle. »

L’aveugle n’avait pas besoin de leur homélie, il avait juste besoin qu’ils s’écartent du chemin : « il jeta son manteau, bondit et vint auprès de Jésus . » (A mes yeux, le message au clergé est clair : si vous êtes incapable d’amener les gens au Christ, au moins ne vous mettez pas en travers de la route.)

Jésus entend alors la requête imperturbable de Bartimée : « que je voie ! » La réponse est immédiate, avec une pointe d’affection : « ta foi t’a sauvé. » Bien sûr que l’aveugle a été « sauvé » par la guérison de sa vue. Mais si cette conjecture est correcte – que Bartimée, par la foi, a reconnu le Christ comme le Messie – son salut est bien plus que sa guérison physique : le Christ l’accueille dans le « Royaume de Dieu ». Comme Il le proclame Lui-même : « le Royaume de Dieu est au milieu de vous ! »

Cela aide à comprendre le détail final du récit. Contrairement aux dix lépreux guéris par le Christ de leur terrible infirmité, Bartimée devient immédiatement Son disciple et Le suit. Bartimée n’est pas distrait par la multiplicité des images de son nouvel environnement. Il utilise la liberté issue de sa cécité physique pour entrer plus profondément en relation avec le Christ. La relation « cœur à coeur » secrète avec le Christ devient un « face à face » entre disciple et maître délibérément visible.

Il reste encore quelque chose de beau à propos de la cécité. Avant qu’un bébé ne rencontre sa mère « face à face », il doit la rencontrer en aveugle dans son sein. Le cœur du bébé à naître fait écho à celui de sa mère. L’amour entre un bébé et sa mère est pour la première fois entendu avec les battements de cœur. Comme le pieux aveugle dans sa rencontre avec le Christ, un bébé dans le ventre de sa mère est une magnifique métaphore de la vie en Christ ici-bas.

Avant de naître à la vie éternelle pour Le voir face à face, nous aussi devons être attentifs dans le silence, remplis de foi, dans le sein de Son Église – notre Sainte Mère l’Église – où nous entendons un cœur de Mère battre d’une Foi antique. Notre foi se nourrit de cette écoute attentive – cœur à Cœur, et Cœur à cœur.

De ce côté-ci de l’éternité, nous devons revenir à une sorte de « contemplation aveugle » baignée de foi pour rencontrer l’amour et le pouvoir de guérison du Christ.

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Le père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est curé de l’église Saint-Michel-Archange à Annandale (Virginie).

Illustration : le Sacré-Coeur de Jésus, par José Maria Ibarraran y Ponce, 1896

Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/01/heart-to-heart-2/