À l’époque du Concile Vatican II j’ai été invité, dans le séminaire, au bureau d’un prêtre qui, au cours de la conversation, suggéra qu’on devrait peut-être l’appeler « Jim » plutôt que « Père Jim », ainsi que je l’avais connu dans notre paroisse. Alors, je déclinai courtoisement. Ceci me paraissait plutôt étrange.
Après le Concile, ce vœu de ne pas se faire appeler « Père » devint banal, et je le trouvais alors bien perturbant. Je sentais en quelque sorte qu’on sapait le Sacrement du Baptême. Ce pouvait sembler comparable à un « saut quantique » d’ordre théologique ; permettez que maintenent j’explique ma ferme conviction de la totale justification de mon intuition.
Quand on s’adresse à un prêtre par « Père », ou au pape par « Saint Père », n’est-ce qu’une simple queston de politesse religieuse ou de tradition, ou cette forme d’appellation a-t-elle ses profondes racines dans l’ordre de la réalité spirituelle ? Je me rappelle qu’on donnait cette dernière explication lorsque cette forme d’appellation était mise devant la directive du Christ de n’appeler personne son père en ce monde.
Il ne suffit pas d’énoncer ce problème en disant que le Christ usait d’un tel langage pour bien marquer que notre père véritable est Son Père des Cieux. Mais alors survient une autre question : en quoi Dieu est-il vraiment notre père, puis une autre question : Dieu est-il vraiment notre père dès notre naissance, ou par la grâce de notre baptême ?
La Tradition nous enseigne que nous devenons vraiment enfants de Dieu par adoption et seulement par le baptême, et donc Dieu devient véritablement notre Père par le seul baptême grâce à notre incorporation au Christ, unique Fils naturel de Dieu. Le Christ est le « Fils unique », tel que nous le prions selon la liturgie, mais Il n’est pas seul Fils, puisque le baptême est le moyen par lequel le Père fait de nous Ses fils dans le Christ, Fils Unique. Tout celà en vérité selon l’ordre de la Grâce.
Pour moi, il a toujours été parfaitement sensé que le Sacrement de Baptême apporte un changement ontologique, une réelle transformation, et pas simplement métaphorique ou symbolique. C’est là toute la différence entre la véritable doctrine Catholique du baptême — son côté ontologique — et la doctrine Protestante où le baptême est réduit à un simple symbole témoin de la foi salvatrice.
Et donc, Dieu qui est symboliquement père avant le baptême, père de tous les hommes, devient Père en un sens différent et plus profondément réel par le baptême. Le monde Protestant a largué la bonne métaphysique, et s’est ainsi contenté d’une sacramentologie guère différente du simple symbolisme des signes sacrés de l’Ancien Testament.
De nos jours, en raison de l’universalisme implicite qui semble dominer partout la théologie, le baptême — et l’ordre sacramentel — a peu à peu perdu même chez les Catholiques ses fondements ontologiques et nous sommes réduits à un simple symbolisme, dispute linguistique plutôt que réalité spirituelle ontologique.
Le pape Benoît a récemment écrit sur la dégradation du zèle missionnaire, et le facteur motivant de la nécessité du baptême qui animait des hommes tels que St. François Xavier. Il insistait fort récemment lors d’un entretien sur certains problèmes non seulement de motivation missionnaire mais plus généralement de la vie Chrétienne en général en raison du fait que « de nos jours les hommes ont en général le sentiment que Dieu ne peut pas laisser l’humanité aller vers la damnation.
Et avec ce sentiment, le souci du salut individuel des âmes, caratéristique il n’y a guère, est plutôt en voie de disparition.» Dans cette réflexion théologique, il reconnaît que ce n’est qu’un préliminaire à ce qu’il appelle une « double crise » de foi.
On pourrait bien, alors, suggérer qu’à la racine de cette « double crise » se trouve tout le problème d’une théologie qui a abandonné tout fondement ontologique. Et on ne peut le constater nulle part plus nettement, peut-être, que dans le problème même de notre compréhension du baptême et de sa nécessité en vue du salut.
Je crois qu’on peut aborder ce problème en posant une simple question : Le baptême fait-il de Dieu un Père en un sens très réel et bien différent de ce qu’on peut retenir seulement d’une compréhension convenable de la Création ?
Si la réponse est NON, vraiment NON, alors il y faut vraiment expliquer pourquoi l’importance du baptême est si grande, si nécessaire. Si la Volonté Divine du salut universel, de tout temps comprise comme condition de la doctrine Catholique, suffit à justifier Sa paternité, le baptême n’étant que la confirmation symbolique de cette vérité, alors notre foi est radicalement différente de celle transmise par les Pères et Docteurs de l’Église. C’est là, à mon avis que se trouve la véritable crise de foi actuelle.
Alors, l’autre jour, on a demandé à S.S. François pourquoi il n’a pas décidé d’emmener de Grèce des familles Chrétiennes Il répondit que les Chrétiens n’avaient pas leurs papiers en règle et ajouta ce commentaire plutôt intéressant : « il n’y a pas de privilège. Tous les douze sont enfants de Dieu. C’est être enfant de Dieu le privilège.»
Presque d’accord, mais je me demande alors si être baptisé enfant de Dieu est en vérité un plus grand privilège qu’être simplement enfant de Dieu par la grâce de la Création ? Sinon, pourquoi s’inquiéter du baptême ?
Je n’ose suggérer que le pape souhaitait proposer ce genre d’interprétation troublante, mais je me demande honnêtement si les Chrétiens abandonnés dans des camps, où ils subissent parfois une nouvelle forme de persécution, seront gênés d’apprendre que le mot « Père » n’est guère plus qu’un titre honorifique. Certains, au moins, pourront se demander si leur baptême a créé une véritable relation ontologique avec une paternité spirituelle apportée par le sacrement donné par un homme consacré, et en définitive relevant du Père.
Ou bien, ce brave vieux prêtre avait raison, et j’aurais simplement dû l’appeler « Jim ».
20 avril 2016.
Photo : Appelez-le « François » : le pape accueille des Musulmans à Rome.
https://www.thecatholicthing.org/2016/04/20/just-call-me-jim/
http://www.annoncescatho.com/questions/pourquoi-appelle-t-les-pr%C3%AAtres-p%C3%A8re-alors-que-la-bible-dit-vous-nappellerez-pas-p%C3%A8re
