Allégeance - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Allégeance

Traduit par Bernadette Cosyn

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L’allégeance – tout particulièrement les actes d’hommage et promesses d’allégeance – doivent faire partie de nos jours des coutumes les moins compréhensibles de cette civilisation occidentale qui a été fondée et nourrie par l’Eglise au long des siècles. D’après mon expérience, les soldats comprennent parfois cette notion, ainsi que les moines, et d’autres qui sont apparemment par nature humbles et pieux. A moi, elle pose problème. La notion elle-même va à l’encontre des valeurs de la société dans laquelle j’ai vécu ces soixante et quelques dernières années (à la fois en Amérique du Nord et ailleurs). La maxime « sois fidèle envers toi-même », qui peut être valable dans certaines situations, est considérée comme sans appel et surpassant toute autre fidélité. C’est, si l’on peut dire, inné. C’est-à-dire que c’est enseigné par la parole et l’exemple, implicitement comme explicitement, à travers la culture. Des bribes d’enseignement chrétien subsistent malgré tout. Il y a un vague respect pour l’homme qui a placé un autre homme au-dessus de lui. Et les chrétiens n’ont pas de difficulté à dire ou penser qu’ils « devraient » placer le Christ au-dessus d’eux. Pensant alors, je le soupçonne souvent « cela devrait être, comme expression de ma loyauté. » Parmi d’autres, la fidélité abstraite, à un état, à une cause politique ou même à une équipe sportive professionnelle prospère comme une forme de « religion inversée. » L’instinct humain de loyauté est là, bien visible. Mais il est cependant sans grande conséquence. Vous êtes déprimé quand votre équipe perd, ragaillardi quand elle gagne. Mais vous n’aurez jamais l’idée de sacrifier votre vie pour, par exemple, les Toronto Blue Jays. J’ai entendu dire que le mariage, comme institution de la vie moderne, rencontre quelques vicissitudes. Etrangement, ses pire détracteurs sont obnubilés par la « fidélité » qui fait partie du rite matrimonial. Ils la trouvent plus importante que ce qu’ils imaginent être des accidents mineurs, comme le sexe des contractants. Ils envisagent qu’une allégeance est engagée, ou peut être engagée, uniquement entre deux personnes à proprement parler. Il est douteux que les fervents supporters du « mariage homo » soient aussi enthousiastes pour la polygamie. Nous avons ici un autre cas de vestige de christianisme : la beauté qui est perçue dans le lien officiel. Mais que la relation soit hétérosexuelle ou autre, elle est totalement adaptée aux exigences de notre époque. Les « partenaires » doivent être « égaux », et le lien existe volontairement à la fois avant et après la cérémonie publique ostentatoire. Le serment de fidélité dans son entier peut être rapidement effacé, sans cérémonie. On n’a plus besoin d’aller à las Vegas pour cela, et la seule question qui fâche est qui garde quoi. J’ai parlé des soldats. Dans ma modeste expérience de journaliste amateur dans des zones proches des zones de guerre, j’en suis venu à connaître quelques soldats. J’en suis venu à penser que le christianisme professé par une si grande proportion d’entre eux est grandement amélioré par leur expérience de loyauté à leurs camarades sous le feu de l’ennemi. Je ne suis pas le seul à l’avoir comparé à l’expérience monastique, où l’ennemi commun peut bien être « spirituel » et invisible, il n’en est pas moins vivement appréhendé : et un moine sacrifierait sa vie pour un de ses frères. Reste le moment où le jeune séminariste place ses mains dans celles de son supérieur et lui jure fidélité. Je crois que l’instinct moderne est de faire la grimace en évoquant cette scène. Il y a là quelque chose de trop réel ; cela envahit tous nos espaces « virtuels ». Désormais, il sera serviteur. Mystérieusement, ce lien est par extension un lien avec le Christ, et inversement. C’est aussi un lien avec les autres ordonnés. On a rejoint une armée ; on ne doit pas déserter. Pour autant que je le sache, des « bandes de frères » ont existé en tous temps et en tous lieux. Par conséquent, elles ne sont pas forcément chrétiennes. Pourtant la force qui relie – l’allégeance disciplinée, la fidélité – a selon moi quelque chose de divin. Il y a, tout à fait à part de la musique cacophonique de ce monde, une musique divine dans le « Semper Fi » (toujours fidèle) des Marines, que j’ai fréquenté de suffisamment près pour entendre ce chant. De nos jours, nous avons pris l’habitude de nous excuser pour les croisades, tout spécialement ceux d’entre nous qui n’y connaissent rien. Mais avec les vestiges qui nous restent, nous persistons en croisades contre la pauvreté, les drogues et d’autres choses passives. Contre un ennemi véritablement actif, la croisade est maintenant de mauvais goût. D’où la croisade contre un terrorisme abstrait. Mais contre, par exemple, l’Etat Islamique, seulement dans la mesure où il peut incarner le mal dans toute sa splendeur, lors de brèves révélations médiatiques. Quelques heures plus tard, nous surveillons de nouveau notre langue, de peur de trahir la croyance que le monde est plein d’ennemis réels mais virtuels, et nous nous trouvons dévoués à quelque chose de pénible et gênant. L’allégeance, dans le mariage ou sous toute autre forme, n’est pas que pour un temps. « Je suis ton homme », ça peut sonner comme une chanson populaire amusante et ironique, mais l’expression prise au pied de la lettre, est trop forte pour nos sensibilités. Comme je l’ai avoué plus haut, j’ai des difficultés moi-même, car je suis un homme moderne comme les autres, c’est-à-dire que le poison de la modernité coule dans mes veines. Comme catholique, je suis voué à lutter contre ce penchant, mais le Seigneur est parfois intransigeant, et je suis parfois terriblement auto-satisfait. Le terreau de ma loyauté à la Sainte Eglise est là, mais l’homme qui s’y tient est prompt à s’égarer – loin du réel, vers une abstraction sans douleur. Le mot « allégeance » n’a pas exactement le même sens que « fidélité ». Il signifie, ou plutôt signifiait avant que l’anglais moderne ne remplace l’anglais traditionnel « obligation à la fidélité. » il peut être immédiatement étiqueté, par presque tous les amateurs d’histoire, comme « un concept médiéval. » Ce qui revient à dire que c’est un concept chrétien, un fantôme découlant d’un « âge de la foi » quelque peu méprisé et « fleur bleue ». L’idée que la fidélité puisse impliquer une obligation est totalement étrangère à l’esprit moderne, même dans les moments où il lui apporte un soutien de façade, dans les pâles images que sont des contrats légaux. Pour retrouver ce sens, nous devons d’abord nous représenter ce que cela pourrait signifier.
— – David Warren est un ancien rédacteur du Idler Magazine et un chroniqueur d’Ottawa Citizen. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : des Marines à la messe, à Iwo Jima, en 1945 source : https://www.thecatholicthing.org/2016/05/13/fealty/