A propos de la léthargie - France Catholique

A propos de la léthargie

A propos de la léthargie

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Comment se fait-il que nous soyons, en tant que peuple, si léthargiques en ce qui concerne les choses fondamentales, comme le sapement rapide de notre raison et de notre constitution, avec à peine un gémissement, et, en vérité, en l’approuvant largement? Nous nous emballons pour de nombreuses choses, mais la plus part du temps nous évitons soigneusement l’implication sur le fait que nous avons un problème de vérité.

Nous ne voulons pas connaître la vérité sur nous-mêmes. Aussi nous inventons des descriptions de la réalité qui justifient ce que nous faisons. Cette fabrication de la réalité ne reflète pas ce qui est. Elle incorpore nos désirs à notre comportement quotidien. Dans la plus part des cas cela nous convient.

Nous sommes, en d’autres termes, léthargiques. Ce mot est intéressant. Il a des relents de cette « lassitude » que les historiens utilisent souvent pour décrire les civilisations en déclin. Léthargie signifie somnolent, engourdi ou apathique. Ce mot a des origines grecques. La rivière Léthé, mentionnée par Platon, était une rivière des enfers. Si l’on boit de son eau, on oublie tout ce qui s’est passé avant nous dans nos vies.

C’est comme être dans une situation que nous avons créée nous-même, mais sans que nous nous rappelions ni comment ni pourquoi nous en sommes arrivés là. Cette rivière coule chez Hypnos, le dieu du sommeil. Aussi la somnolence, l’engourdissement, l’ennui et l’apathie imprègnent ce mot. Il décrit un être qui n’est pas complètement éveillé et n’est pas prêt à accomplir ce pourquoi un homme est fait. Le mot a aussi la connotation de choisir ou même de préférer être dans cette disposition.

Mais cette « Léthé », dans Ovide, est aussi une déesse, celle de l’oubli. En vérité, il y a des choses que nous désirons oublier et que nous devrions oublier.

Cependant quand nous regardons l’étymologie du mot, nous remarquons des choses surprenantes qui apparaissent. Le mot pour « vérité » en grec est a-leteia. La lettre « a » devant un mot en grec, dénie sa signification. Ainsi « schole » signifie le loisir, tandis que a-scholia signifie besogne, c’est-à-dire le contraire du loisir.

A-leteia signifie la négation de la somnolence et de l’oubli. A-leteia est le mot grec signifiant « vérité ». Pour connaître la vérité nous ne devons pas être somnolents ni engourdis ou oublieux. Si nous sommes léthargiques, nous n’apprendrons jamais la vérité des choses. Connaître la vérité des choses est ce qui devrait nous exciter et nous réveiller.

C’est plutôt ce que Chesterton signifiait quand il observait qu’il n’y a pas « de choses inintéressantes, mais seulement des gens qui ne sont pas intéressés ». Qu’est-ce qui est pire que des gens qui ne sont pas intéressés de savoir ce qu’ils sont réellement?

Les Écritures nous enseignent que les enfants de ce monde sont plus avisés que les enfants de lumière. Ils sont plus entreprenants dans la poursuite de ce qui est mauvais ou déviant que ne le sont les enfants de lumière dans la poursuite de la vérité. Le serviteur injuste était plus énergique que ne l’était le juste. Ainsi il doit y avoir une autre déviation de la vérité qui n’est pas simplement enracinée dans la léthargie.

Les Grecs ont un autre mot, acedia, qui signifie quelque chose comme l’ennui. Léthargie signifie simplement ne pas avoir l’énergie ou la vivacité nécessaire pour s’inquiéter de quelque chose. Acédia est beaucoup plus sinistre. Joseph Pieper s’est beaucoup intéressé à ce vice. Il ne signifie pas seulement être ennuyé par la monotonie d’un jeu de baseball trop lent ou par un film. Il signifie plutôt un manque d’énergie ou d’intérêt dans la recherche de la vérité et à l’accepter.

Le Psaume 63 dit : Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon
âme à soif de toi ». Cette âme n’est ni endormie ni ennuyée. C’est une âme qui est inquiète parce qu’elle ne connaît pas la vérité. Ce n’est pas une âme qui est soulagée parce qu’aucune vérité ne peut être trouvée.

Si nous sommes réticents à connaître la vérité sur nous-mêmes, il est certain qu’à la fin nous serons lassés par le monde que nous nous sommes imaginé pour y vivre. Il est inévitable que nous interdisions toute interrogation sur notre monde artificiel. Nous serons forcés par la nécessité de l’ordre public de boire à la rivière de l’oubli. Nous ne voulons aucun rappel d’une autre voie que nous avons rejetée pour expliquer que nous sommes comme nous sommes.

En d’autres termes, nous devons nous mentir à nous-mêmes sur ce qui est. La vérité rejetée ne nous laisse pas indifférents. Nous ne pouvons pas avorter des millions et des millions d’êtres de notre race et accepter qu’on nous montre du doigt qu’il s’agit de vrais enfants humains. Nous ne pouvons pas nier que le lien du mariage est le lien pour la vie entière d’un homme et d’une femme avec leurs enfants et penser que tout ira bien pour nous. Nous devons mentir. Nous exigeons que chacun admette ces mensonges comme condition de bonne citoyenneté dans l’Etat. Nous devons éliminer ce que nous ne pouvons raisonnablement pas défendre.

Léthargie, acedie et ennui au sujet des sujets fondamentaux, entraînent l’activité et l’énergie nécessaires pour exercer une coercition sur ceux qui affirment que la vérité des choses est ce que nous devons connaître avant tout. Une telle description décrit, plus ou moins, notre culture de léthargie et d’ennui en ce qui concerne la vérité que nous refusons de connaître ou de vivre.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-lethargy.html

Tableau : Dimanche ennui par BJO Nordfeldt, c. 1930


James V.Schall,s.j., qui travailla comme professeur à l’université de Georgetown pendant 35ans, est un des plus prolifique écrivain catholique d’Amérique. Ses plus récents livres sont : The Mind That Is Catholic, the Modern Age, Political Philosophy and Revelation : A Catholic Reading, and Reasonable Pleasure.