8- Marie, la toute sainte - France Catholique
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8- Marie, la toute sainte

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Ce titre est inspiré de l’appellation des chrétiens d’Orient. Ils préfèrent souligner le côté positif de Marie, sa sainteté totale, plutôt que la double négation de notre vocable « Immaculée Conception ». De plus, cette appellation correspond parfaitement au sujet de ces communications qui veulent nous mettre en face de l’irruption de la vie divine dans nos êtres humains et dont Marie est la bénéficiaire en plénitude.

– I – Quelques éléments des sources de la théologie mariale utiles à notre propos

A – Annonciation (Luc 1,26-38)

Les mots clés sont : comblée de grâce, et tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
Le premier, à cause de l’emploi du participe passé, ne se contente pas de dire la faveur de Dieu, la grâce, comme dans la deuxième formule, mais souligne la plénitude de ce don divin. Certains ont voulu limiter la portée de texte ne disant que c’est au moment de l’Annonciation que Marie a bénéficié de cette plénitude de grâce. Le participe passé, avec son sens d’accomplissement, ne permet pas cette restriction. Même s’il y a eu un accroissement de la faveur divine à ce moment, la salutation de l’ange ne se comprend que s’il fait allusion à une réalité spirituelle déjà existante. Une certaine unanimité des Pères pour en faire le fondement scripturaire du privilège de Marie, a été soulignée par la bulle qui a défini le dogme de l’Immaculée Conception.
D’autres éléments de ce texte viennent corroborer cette qualité singulière de Marie. On retiendra surtout l’allusion à la nuée (…Te couvrira de son ombre…). Dans le désert, celle-ci attestait la présence de Dieu avec son peuple. Dans le Temple, elle était la présence de Dieu au dessus de l’Arche d’Alliance. Outre l’affirmation implicite de la divinité de Jésus, cette allusion fait de Marie la nouvelle Arche d’Alliance porteuse d’une présence particulière de la divinité.
Il n’est pas inutile de mettre cette page en relation avec ce que l’on nomme le Protévangile :
Je mettrai une hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et ta descendance. Sa descendance te meurtrira la tête et toi, tu lui meurtriras le talon. (Genèse 3,15)
Il s’agit du plan divin pour contrer l’extension du péché dans la descendance d’Ève. Cette descendance est visiblement celle qui aboutit au Christ, mais, adressé à la femme, le mot de lignage réserve une place à la femme, que logiquement on identifie à Marie.
Les Pères de l’Église utiliseront abondamment ce parallèle entre Marie et Ève, entre celle par qui vient le péché et celle par qui vient la vie. Mais il ne faut pas trop solliciter ce texte pour y voir une annonce explicite de la conception immaculée de Marie.

B – Visitation (Luc 1,39-45)

L’exclamation d’Élisabeth : « Tu es bénie entre toutes les femmes » vient renforcer la salutation de l’ange en soulignant une mise à part de Marie.

C – Apocalypse 12

La vision grandiose de la femme couronnée d’étoiles… ne doit pas être trop vite appliquée à Marie seulement. Trop d’éléments militent pour l’identification de cette femme avec l’Église pour qu’on ne prenne pas d’abord ce sens-là : la fuite de la femme au désert (v.6) est une allusion non voilée à la dispersion de la communauté chrétienne lors de la première persécution (Actes 8,1), le verset 17 où le Dragon « s’en alla guerroyer contre les reste des enfants (de la femme) » souligne le caractère pluriel des enfants de cette femme. Mais rien n’est univoque dans l’Apocalypse. Et cette femme, emblème de l’Église est aussi la mère physique du Messie, l’enfant mâle qui mènera les nations avec un sceptre de fer. Sa lutte victorieuse contre le dragon, image du péché et de la mort, est un indice pour la victoire de Marie sur le péché (Immaculée Conception) et sur la mort (Assomption).

– II – Quelques beaux textes de la tradition orientale sur Marie

* Hippolyte ( mort en 235) commente le psaume 21. Il compare le Sauveur à l’Arche d’Alliance. Celle-ci était faite en bois incorruptible. C’est pour lui l’image de l’incorruptibilité du Christ, de son impeccabilité. Et il ajoute : « Le Seigneur est sans péché, étant, selon son humanité, (fait) de bois incorruptible, à savoir de la Vierge et de l’Esprit Saint. » Il signifie donc par là l’impeccabilité de Marie.
* Ephrem, le grand poète et théologien syrien mort à Edesse en 373, disait :
Pleine de grâce…, toute pure, toute immaculée, toute sans faute, toute sans souillure, toute sans reproche, toute digne de louange, toute intègre, toute bienheureuse…., vierge d’âme, de corps et d’esprit…, arche sainte qui nous a fait échapper au déluge du péché…, complètement étrangère à toute souillure, à toute tache du péché.
Son commentaire n’est pas moins intéressant quand il souligne que Jésus est le fruit béni de Marie, mais par un renversement des causalités, la Vierge devient à son tour un fruit unique du Christ, la plus merveilleuse efflorescence de son mystère d’amour. On y voit en germe le raisonnement qui prévaudra dans la définition du dogme : l’immaculée conception de Marie est le fruit anticipé de la rédemption acquise par le Christ.
* Théodote, évêque d’Ancyre, qui fut un des pères du concile d’Éphèse en 431, reprend le parallèle classique entre Marie et Ève pour faire l’éloge suivant de Marie :
À la place de la vierge Ève, médiatrice de mort, une Vierge a été remplie de grâce pour nous donner la vie ; une Vierge a été façonnée possédant la nature de la femme, mais sans la malice féminine ; Vierge innocente, sans tache, tout immaculée, intègre, sans souillure, sainte d’âme et de corps, ayant poussé comme un lys au milieu des épines ; qui n’a pas été instruite des vices d’Ève….Consacrée par Dieu avant sa naissance, et une fois née, offerte à Dieu en signe de reconnaissance pour être élevée dans le sanctuaire du Temple, revêtue de la grâce divine comme d’un vêtement, l’âme remplie d’une divine sagesse, épouse de Dieu par le cœur …., elle a reçu Dieu dans son sein ; elle est véritablement théotokos, et pour ainsi parler, elle est toute belle comme un objet de complaisance, et toute agréable, comme un sachet d’aromates. C’est cette Vierge digne de celui qui l’a créée, que la divine Providence nous a donnée pour nous communiquer le salut.
Ève est qualifié de vierge puisque le premier péché, qui lui est largement imputé (occasion pour l’auteur de se déchaîner sur les péchés des femmes, texte censuré !) a été commis avant son union avec Adam. Infléchissement du texte de la Genèse pour souligner l’antithèse avec Marie.
L’allusion à l’éducation de Marie dans le Temple vient du Protévangile de Jacques. Ce texte, écrit vers 175, et qui a connu une énorme diffusion, cherche à combler les silences des évangiles de l’enfance et à résoudre certaines contradictions. Bien que l’Église n’en ait pas garanti l’authenticité, d’où le nom d’ apocryphe donné à cet ouvrage, son influence a été considérable, en particulier pour la dévotion mariale.
Le mot théotokos, mère de Dieu, nous met dans l’ambiance du concile d’Éphèse, où ce mot a été adopté pour parler de Marie, contre le Patriarche de Constantinople, Nestorius, qui n’acceptait que le vocable christotokos, mère du Christ, car il avait beaucoup de mal à accepter l’Incarnation jusqu’à ce point d’abaissement, un Dieu bébé.
* Proclus, patriarche de Constantinople, mort en 446, nous a laissé trois homélies mariales dans lesquelles un bon nombre d’expressions souligne la sainteté de Marie :
Formée d’un limon pur…, femme incorruptible (attention, cela ne signifie pas qu’elle refuse les pots de vin, mais qu’elle est victorieuse de la mort, de la corruption)…, sanctuaire sacré de l’impeccabilité…, temple sanctifié de Dieu…, sanctifiée dans le corps et dans l’esprit…, champ de la bénédiction paternelle…, épouse toute dépouillée de la vieille tunique…, paradis exempt de corruption…, globe céleste de la nouvelle création…
* Son contemporain, Hésychius, prêtre de Jérusalem, mort vers 450, nous dit :
Lève-toi, Seigneur, toi et l’arche de ta sainteté (inspiré du psaume 131, v. 8) ; l’arche de ta sainteté, c’est-à-dire la Vierge, la théotokos. Si tu es une perle, elle en est l’écrin. Si tu es le Soleil, on l’appellera ton ciel. Tu es une fleur qui ne se fane pas, la Vierge est donc une plante d’incorruptibilité,, un paradis d’immortalité…… Elle a gardé incorruptible le Temple du Verbe et son tabernacle exempt de toute souillure.
* Sophrone de Jérusalem, écrit en 634 au Patriarche Sergius de Constantinople, pour l’informer du Synode qui vient de se tenir. Lettre dogmatique de la plus haute importance :
Au sujet de l’Incarnation, je crois que Dieu le Verbe, le Fils unique du Père…, pris de pitié pour notre nature déchue, de son libre mouvement, par la volonté de Dieu qui l’a engendré et avec le divin agrément de l’Esprit…, est descendu vers notre bassesse…, et que pénétrant dans le sein tout éclatant de virginale pureté de Marie, la radieuse Vierge, pleine d’une divine sagesse et exempte de toute souillure du corps, de l’âme et de l’esprit, il s’est incarné, lui l’incorporel… Il a voulu devenir homme pour purifier le semblable par le semblable, le frère par le frère… Voilà pourquoi une vierge sainte est choisie ; elle est sanctifiée dans son âme et dans son corps ; et parce qu’elle est pure, chaste et immaculée, elle devient la coopératrice de l’Incarnation du Créateur.
Soulignons que cet éloge de Marie est en relation directe avec la venue du Sauveur. C’est à cause du Christ que nous nous intéressons à Marie et que nous énumérons ses qualités.
Le raisonnement de Sophrone est le suivant : puisque le Verbe voulait purifier la nature humaine par cette nature même, il fallait que l’instrument et l’auxiliaire de cette purification fut lui-même exempt de toute tache.
Dans un autre texte, il souligne cette vérité importante, ce n’est pas à cause de l’Annonciation par l’ange que Marie est sainte, mais elle l’était avant, l’Esprit qui va intervenir ne la rendra que plus sainte et plus pure. Il fonde cela sur la phrase : tu es bénie entre toutes les femmes.
On a voulu attribuer cette erreur à Jean de Damas ( 650 –  750). Mais dans son Exposition de la foi orthodoxe il précise :
Plantée dans la maison de Dieu et engraissée par l’Esprit comme un olivier fertile, elle devint le séjour de toutes les vertus. Tenant son esprit éloigné de tout désir séculier et charnel, elle conserva la virginité de l’âme avec celle du corps, comme il convenait à celle qui allait recevoir Dieu dans son sein.
* Il faut aussi tenir compte de la tradition liturgique qui instaura, dans l’élan du concile d’Éphèse, différentes fêtes de Marie : Marie , Mère de Dieu, à l’octave de Noël, la Conception de Marie, la Dormition de Marie…

Il faut savoir que l’Occident n’est pas resté en reste sur les qualités de Marie, depuis saint Augustin qui déclare qu’on ne parle jamais de péché à propos de Marie, jusqu’à saint Bernard qui a porté les louanges de Marie à un niveau rarement atteint. Nous verrons que cela ne fait pas nombre avec le refus de l’Immaculée Conception par une école théologique.

– III – Textes du magistère

** Voici la conclusion de la bulle « Ineffabilis Deus », du 8 décembre 1854, portant définition du dogme de l’Immaculée Conception.
…..Pour l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour la gloire et l’ornement de la Vierge Mère de Dieu…..nous déclarons que la doctrine qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles.

** Et celle de la constitution apostolique « Munificentissimus Deus », du 1° novembre 1950, portant définition du dogme de l’Assomption.
… C’est pourquoi l’auguste Mère de Dieu, unie de toute éternité à Jésus Christ d’une manière mystérieuse dans un seul et même décret (citation de la bulle précédente) de prédestination, immaculée dans sa conception, vierge très pure dans sa divine maternité, compagne généreuse du divin Rédempteur qui a remporté un triomphe total sur le péché est ses suites, a obtenu, comme le couronnement suprême de ses privilèges, d’avoir été préservée de la corruption du tombeau et, comme son Fils, après avoir vaincu la mort, d’être élevée en corps et en âme à la gloire au plus haut des cieux…Nous affirmons… comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste.

** Constitution dogmatique « Lumen gentium » de Vatican ll (1964)
Le chapitre 8 s’intitule La bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église.
Le projet initial était de produire un texte à part sur la Vierge Marie. Il a été souhaité, et ce fut une bonne chose, que ce texte soit intégré dans la constitution sur l’Église. Après la reprise des grand thèmes mariaux, la pointe du texte est de préciser les rapports entre Marie et l’Église. Marie est dans l’Église, comme la plus sainte et ne doit en rien porter ombrage au Christ seul médiateur (§ 62). Mais elle garde un rôle puissant d’exemple, de guide et d’intercession. De plus, le § 63 qualifie Marie de type (au sens biblique), ou de figure (terme plus adapté à notre langage contemporain) de l’Église. C’est dans cette perspective que Paul Vl a déclaré Marie Mère de l’Église et a fait enrichir le missel d’une messe sous cette invocation.

** Encyclique du pape Jean-Paul ll, « Redemptoris Mater », du 25 mars 1987.
Après un rappel des textes mariaux du Nouveau Testament, permettant les grandes affirmations sur la virginité perpétuelle de Marie, son Immaculée Conception et son Assomption, le pape présente le « pèlerinage de la foi » de Marie. Celui-ci est donc un modèle pour l’Église et chacun des chrétiens.
Le pèlerinage de la foi désigne l’histoire intérieure…. Celui de Marie est exceptionnel et représente une référence constante pour l’Église, pour chacun individuellement et pour la communauté, pour les peuples et les nations et, en un sens, pour l’humanité entière. (§ 6)
En début de la partie sur Marie dans le mystère du Christ, le pape commente le pleine de grâce de la salutation de l’ange en le mettant en rapport avec la salutation d’Élisabeth, Tu es bénie entre toutes les femmes et surtout avec la grande bénédiction qui préside à l’histoire du salut que Paul développe au début de la lettre aux Ephésiens (1,3).
La plénitude de la grâce désigne aussi tous les dons surnaturels dont Marie bénéficie en rapport avec le fait qu’elle a été choisie et destinée à être la mère du Christ. (§ 9)
En commentant le compliment d’Élisabeth Heureuse, toi qui as cru, le pape retrace tout ce que fut sa foi, avec ses épreuves, dans la vie de Marie, de l’Annonciation à la Pentecôte. Puis il explore la richesse de cette maternité confirmée par la parole de Jésus sur la croix.
Il peut alors, dans le 2° partie, scruter le rôle de la Mère de Dieu au centre de l’Église en marche : rôle exemplaire et encourageant de sa foi, avant de consacrer la dernière partie à la médiation maternelle de Marie. Celle-ci se continue depuis que, montée au ciel par son Assomption, elle intercède pour nous comme à Cana et contribue à nous faire mieux entrer dans le mystère de notre filiation, de notre divinisation.

– IV – L’Immaculée Conception

Il faut d’abord cerner le sens de cette expression un peu abstraite et qui inclut une double négation. Nous croyons que Marie n’a pas été touchée par la déficience congénitale qu’on nomme le Péché originel, qui est la privation de l’amitié de Dieu, de la grâce, mais qu’elle a été touchée par la grâce rédemptrice qui abolit ce péché.
Il ne faut donc pas confondre cette affirmation avec celle de la conception virginale qui affirme que Jésus a été conçu sans l’intervention de Joseph. Il faut écarter aussi l’idée, venue d’une conception pessimiste de la sexualité, que Marie aurait été conçue autrement que par l’union habituelle de ses parents, que le Protévangile de Jacques nomme Joachim et Anne. Ne multiplions pas inutilement les prodiges !
Prière du célébrant du 8 décembre :
Seigneur, tu as préparé à ton Fils une demeure digne de lui par la conception immaculée de la Vierge ; puisque tu l’as préservée de tout péché par une grâce venant déjà de la mort de ton Fils, accorde-nous, à l’intercession de cette Mère très pure, de parvenir jusqu’à toi, purifiés, nous aussi, de tout mal.
On doit donc dire que Marie est la première rachetée et ceci de manière totale et parfaite. D’où l’expression de Toute Sainte qui préside à cet exposé.

Les réticences qui ont freiné la mise au jour de ce dogme provenaient des deux affirmations essentielles de la foi chrétienne : universalité du péché, en raison du péché des origines, et universalité de la grâce du Christ, seul Rédempteur. Il a fallu la perspicacité de Duns Scot, pour contrer saint Thomas d’Aquin sur le premier point, et affirmer que les mérites du Christ ont pu être appliqués par avance à Marie.
Cela pose le double problème de la place du Christ dans l’histoire du salut et de la gestion de la grâce rédemptrice. Sur ce second point, on peut admettre facilement que pour Dieu le temps n’a pas tout à fait la même mesure que pour nous. Il peut donc faire bénéficier du fruit de la rédemption qui il veut, et à la date qu’il veut. Il l’aurait donc fait pour Marie en vue de l’Incarnation. Le premier point pose beaucoup plus de questions, en particulier à nos contemporains. Le passage exclusif par le Christ pour le salut semble une terrible limitation de la volonté universelle de salut affirmée par exemple en 1 Timothée 2,4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la vérité .» La situation étroitement limitée de Jésus de Nazareth dans notre histoire ne semble pas cadrer avec cet aspect universel. La solution viendra de la vision du plan de salut que développe, saint Paul au début de la Lettre aux Éphésiens. Le Christ est l’aboutissement d’un long projet divin : faire bénéficier tous les hommes de ce qui est advenu par un homme précis, Jésus, le fils de Marie, qui a souffert à Jérusalem, sous Ponce Pilate. Jésus n’est pas une idée, mais une personne située dans le temps et dans l’espace. C’est l’événement de sa Passion qui est décisif. Il a fait sauter le verrou du péché des hommes, lui aussi inscrit dans notre histoire. De par sa divinité, Jésus peut rejoindre tous les hommes, dans tous les temps et tous les lieux. Pour les croyants, c’est le cheminement visible de la foi en sa résurrection ; pour ceux qui l’ignorent, c’est le cheminement invisible de sa grâce, qui reste celle d’un homme déterminé qui a changé le cours de nos relations avec Dieu. Dans cette vision l’application anticipée à Marie de cette grâce de rédemption est plus compréhensible.
Il faut redire que cette grâce, cadeau gratuit, privilège unique, est fait en prévision de la venue du Fils. Se pose alors le problème : par cette grâce, Marie était-elle prédéterminée, programmée dirait-on actuellement, pour consentir au dessein divin ? Elle ne serait donc pas libre. C’est oublier une vérité fondamentale : ce n’est pas le péché qui est la liberté. Celui-ci est au contraire un asservissement. C’est la vérité qui rend libre (Jean 8,1). La véritable liberté nous est donnée par la grâce, elle consiste à consentir à ce pour quoi nous sommes faits, à savoir l’union à Dieu. La contemplation de Marie Toute Sainte est donc bénéfique dans notre étude sur notre appel à vivre de la vie de Dieu. Sur le chemin de notre divinisation, Marie reste la réussite première.

– V – L’Assomption

Il s’agit de la glorification de Marie, de sa pleine divinisation. Depuis des siècles, on a affirmé que Marie bénéficiait dès maintenant de la gloire des élus, qu’elle était au ciel avec son corps et son âme. On peut dire qu’elle est la première ressuscitée, après son fils Jésus. Ce n’est pas parce que cette affirmation n’a été proposée comme dogme, c’est-à-dire comme vérité nécessaire au salut, que le 1° novembre 1950, qu’elle ne fait partie de la Révélation. La proclamation du dogme ne fait que préciser ce qui appartient à la foi de l’Église et ne se veut jamais une nouveauté.
Cette affirmation repose sur trois éléments : une faible attestation scripturaire, une forte donnée de tradition et une pratique séculaire de l’Église.
Nous avons signalé plus haut que le chapitre 12 de l’Apocalypse de Jean laisse entendre une victoire de la femme sur le dragon. Quand on interprète cela de Marie, il s’agit donc de sa victoire sur le péché et sur la mort.
Un texte très ancien, La Dormition de Marie, a servi pendant des siècles de fondement traditionnel à cette assertion. L’études la plus récente est celle du Père Fr. MANNS, franciscain de Jérusalem, en 1989. Il conclut que ce texte, aux symbolismes foisonnants et au vocabulaire proche du Judaïsme, émane d’une communauté de chrétiens de Jérusalem, encore pétris de la culture et de l’expression juive, ceux que l’on nomme les Judéo-chrétiens. Il précise même que cette communauté devait avoir un lien privilégié avec l’Apôtre Jean. Il date ce texte de la fin du 2° siècle, au plus tard du début du 3° siècle. Il aurait servi de livre liturgique pour cette communauté qui se rassemblait autour du Tombeau de Marie. Celui-ci, dans la vallée du Cédron a repris une grande vigueur quant à son authenticité, grâce aux travaux archéologiques qui ont suivi la crue dévastatrice de 1972. Ce texte parle donc de la mort de Marie, avec les Apôtres miraculeusement rassemblés autour d’elle et de son dépôt dans le tombeau, puis de son transport au ciel où : « Le corps de Marie fut déposé sous l’arbre de vie. Michel apporta son âme (qu’il était venu prendre au moment de sa mort) et la déposa dans son corps » (Dernier paragraphe).
De tradition aussi, la réponse que fit Juvénal, évêque de Jérusalem, lorsqu’on lui demanda de rapporter une relique de la Mère de Dieu : « Il n’ y en a pas, puisqu’elle est au ciel »
Quant à la fête de l’Assomption, elle a pour elle une haute antiquité. Dès que le culte de Marie, boosté par l’affirmation du Concile d’Éphèse en 431, s’est répandu, des célébrations en son honneur et des églises qui lui furent dédiées ont fleuri. Plusieurs l’ont été au mystère de son Assomption. On doit sans doute la date du 15 août à la dédicace de l’une d’elles, celle édifiée sur la route de Jérusalem à Bethléem, à l’endroit où l’on aperçoit pour la première fois ce village, but de ce difficile voyage pour celle qui allait mettre au monde le Fils que Dieu lui avait donné.

Que signifie cet article de notre foi : Marie, au terme de sa carrière terrestre, a été réunie à son Fils ressuscité, glorifiée dans son âme et dans son corps ? Il ne s’agit pas d’une apothéose qui ferait de Marie une déesse, mais du plein accomplissement du dessein de Dieu, à savoir sa volonté de nous réunir tout entier en lui. C’est cette conjonction que le Christ est venu opérer sur la terre. Marie en est la pleine et actuelle réalisation, alors qu’en nous elle n’est qu’en espérance. Première sauvée, première rachetée (Immaculée Conception) Marie nous montre par son Assomption la plénitude d’un destin humain saisi par l’amour transformant de Dieu.
Cette présence au ciel de Marie dans son âme et dans son corps nous redit opportunément que la rédemption opérée par le Christ, nous concerne tout entier, corps et âme. Comme le dit Romano Guardini :
Le corps humain, réalité mystérieuse et pourtant banalement quotidienne, est faite pour l’éternité. Il doit être un jour introduit dans la lumière de Dieu
Ceci est déjà vrai du Christ, nous le méditons au jour de l’Ascension. Mais Marie nous rend cette affirmation plus proche encore. Cette pleine réussite de notre divinisation trouve en Marie son modèle.
On peut ajouter que cette réussite étant celle d’une femme, cela jette une lumière profonde sur le mystère de la féminité. La plus grand sainte est une femme.
Enfin, de même que le Christ toujours vivant pour intercéder en notre faveur, a promis d’associer les Apôtres à ce rôle (Vous siègerez sur douze trônes pour juger les tribus d’Israël ), il associe celle qui est plus encore unie à lui par la grâce à ce rôle. Depuis toujours les chrétiens ont compris ce rôle d’intercession et s’en sont remis à sa prière.

Conclusion

Cette étude nous a fait contempler successivement le début d’une divinisation exceptionnelle et son achèvement non moins exceptionnel. Pour nous, cet achèvement sera celui de notre résurrection. Jean-Paul ll s’est plu a souligner l’audace de ce dogme de l’Assomption : il nous place résolument dans la perspective de notre réussite céleste, celle de la résurrection et de la glorification. Notre vue terrestre s’arrête à la mort. Notre vue de foi contemple, grâce à ce dogme, l’au-delà glorieux et lumineux auquel nous sommes appelés.