3 - Prêtre, prophète et roi - France Catholique

3 – Prêtre, prophète et roi

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Cette communication veut scruter les activités du prêtre, pour comprendre leur rapport au Christ et établir l’importance du lien qui les unit.
« Prêtre », au sens de celui qui assure le lien avec Dieu. C’est donc l’aspect cultuel qui est désigné : la messe, les sacrements, la prière liturgique, mais aussi l’accompagnement spirituel, guider les chrétiens dans leur marche vers Dieu et leur relation avec Dieu. On voit que cela touche au deuxième qualificatif ;
« Prophète », au sens de celui qui parle au nom de Dieu. Le ministère de la parole sous toutes ses formes, prédication, en premier lieu, mais aussi enseignement de la foi, depuis le catéchisme jusqu’aux conférences (ou communications théologiques comme celle-ci), mais aussi les écrits et, comme cité plus haut, le dialogue personnel ;
« Roi », au sens de celui qui assure une fonction de gouvernance. Comme nous le verrons dans la partie positive, l’image du berger est plus adaptée. Le langage actuel privilégie le mot de pasteur.

Extrait du rituel de l’ordination des prêtres :
Les prêtres sont institués pour être les collaborateurs des évêques, associés à eux dans la fonction du sacerdoce, au service du peuple de Dieu…Ils doivent servir le Christ, maître, prêtre et pasteur, lui qui fait croître son propre corps, l’Église, pour édifier le nouveau Temple saint et former le peuple de Dieu. Configurés au Christ, prêtre souverain et éternel, associés au sacerdoce des évêques, ils sont consacrés prêtres de la Nouvelle Alliance, pour annoncer l’Évangile, pour être les pasteurs du peuple de Dieu et pour célébrer le culte divin, surtout en offrant le sacrifice du Seigneur.

Après une enquête sur le fondement biblique de ces termes, et un aperçu de ce qu’en dit saint Jean Chrysostome, nous verrons l’originalité du lien intrinsèque de ces trois dons, pour traduire maladroitement le terme latin de « munus triplex » qui caractérise le sacerdoce chrétien.

I – Données de l’Ancien Testament

* Lien entre prêtre et roi. Il faut savoir que cette distinction est relativement tardive. Les monarchies autour du peuple de l’Alliance étaient sacrales : c’est le roi qui est le lieutenant de Dieu sur terre et qui assure le lien avec la divinité. Il en reste quelque chose dans la monarchie israélite : choix par Dieu par l’intermédiaire de Samuel, onction, rôle dans le culte, allégorie du berger ( « Le Seigneur t’ a dit : c’est toi qui paîtras mon peuple » 2 Samuel 5,2). Lorsque David fait monter l’Arche à Jérusalem ; c’est lui qui sacrifie les bêtes (2 Samuel 6,13). Certes, il existait des prêtres à Silo (cf. la vocation de Samuel en 1 Samuel 1-3), il semble que c’était les gardiens du sanctuaire. Leur rôle va évoluer : plus tard, on leur réservera les sacrifices, mais ils ont aussi un autre rôle que nous verrons plus loin avec la citation de Jérémie.
Mais cette institution royale décevra. Les récits de l’institution de la royauté en 1 Samuel 8, ainsi que le couplet sur les rois en Deutéronome 17 en sont la trace. Aussi, dans ce dernier texte, est-il précisé que le roi devra en quelque sorte être soumis à la Loi : « Il devra écrire sur un rouleau, pour son usage, une copie de cette loi dictée par les prêtres lévites » (17,18). On voit également que le rôle le plus important dans la conservation de la loi est donné aux prêtres (l’ajout « lévites » provient de la centralisation du culte et la fusion des clergés locaux avec le clergé de Jérusalem).
D’où le texte de Jérémie :
La Loi ne périra pas faute de prêtre, ni le conseil faute de sage, ni la parole faute de prophète. (18.18)
Cela montre une certaine répartition des rôles : le prêtre est le dépositaire de la Loi : on vient lui en demander l’application concrète, tant pour les choses du culte (conditions de pureté rituelle pour venir au sacrifice) que pour les choses morales, ou même de la santé (prescriptions concernant les lépreux, voir l’écho de cela lors de la guérison des 10 lépreux en Luc 17,14).
Dans une vision, le prophète Zacharie propose cette perspective de deux responsables de l’Alliance :
Que signifient les deux branches d’olivier qui, par les deux tuyaux d’or, dispensent l’huile ? Il me répondit : Ne sais-tu pas ce que signifient ces choses ? Je dis : Non, mon Seigneur. Il dit : Ce sont les deux Oints ( littéralement : « fils de l’huile ») qui se tiennent devant le Seigneur de toute la terre. (4,12-14)
Avec le retour de l’Exil et la disparition de la royauté, cette prophétie ne se réalisera pas. Mais il va rester l’espoir d’un descendant de David alors que le Grand-prêtre va avoir un rôle de plus en plus important, tant au plan religieux qu’au plan politique.
Exode 19, met dans la bouche de Dieu, avant la conclusion de l’Alliance les mots suivants :
Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte. (6)
Texte important à cause de l’usage qu’en fera la première lettre de Pierre.
La signification première de cette affirmation pourrait être que le peuple de l’Alliance soit enseigné et gouverné par les prêtres. Nous verrons que la citation qu’en fait le NT oriente dans une direction légèrement différente.
Enfin, parmi les écrits inter testamentaires, il y a Le testament des Douze Patriarches. Cet écrit est daté du 1° siècle av JC, car on en retrouve des extraits dans les manuscrits de la mer Morte, mais il a été sans doute retouché au 2° siècle ap JC. Le Testament de Lévi parle deux fois d’un personnage futur, un messie :
Le troisième sera appelé d’un nom nouveau, car tel un roi, il se lèvera de Juda et exercera un sacerdoce nouveau pour toutes les nations. (Vlll, 14)
Après que leur châtiment se sera exercé de la part du Seigneur, le sacerdoce disparaîtra. Alors, le Seigneur suscitera un Prêtre nouveau à qui toutes les paroles du Seigneur seront révélées : c’est lui qui exercera un jugement de vérité sur la terre pendant une multitude de jours….. La gloire de Très-Haut sera proclamée sur lui, et l’Esprit d’intelligence et de sanctification reposera sur lui par l’eau. Sous son sacerdoce, les nations augmenteront dans la Connaissance sur la terre et seront illuminés par la grâce du Seigneur. (XVlll, 1-2 ; 7-9)
C’est le témoignage de l’attente d’un messie sacerdotal. Ceci renforce le lien entre le prêtre et le roi, puisqu’il est bien précisé qu’il sera de la tribu de Juda.

* Lien entre prêtre et prophète. Il faut d’abord remarquer que la plupart des prophètes étaient prêtres. Mais on ne peut identifier les deux rôles. La citation de Jérémie marque cette distinction : la Loi au prêtre, la parole au prophète. Sans oublier les nombreuses attaques des prophètes contre le culte sans changement du cœur (Isaïe 1,10-16, et tant d’autres). Le prophète apparaît donc comme celui qui réactualise les exigences de la Loi proclamée par le prêtre. Cela nous renvoie à la figure principale du prophète qu’est Moïse. Il proclame l’Alliance, mais il y a à côté de lui Aaron pour le culte. Sans s’identifier, les deux attitudes de prêtre et de prophète vont donc s’enrichir mutuellement. Mais quand le prophétisme disparaîtra, au retour de l’Exil, l’attente d’un prophète va demeurer vive. Témoin la question que se posent les purificateurs du Temple, après la profanation d’Antiochus : que faire de l’autel ? le mettre de côté en attendant qu’un prophète vienne et dise ce qu’il faut en faire. Et bien sûr, Le prophète attendu à l’époque du Christ (Jean 1,18 ou Matthieu 16,14 et//).
On ne peut pas oublier la convergence entre ces deux rôles de prêtre et de prophète dans la figure du Serviteur, Isaïe 42 à 53. Il est chargé de proclamer le droit aux nations (42,1 = aspect prophétique) mais il va faire de sa vie une offrande, un sacrifice (53,8-10 = il s’offre lui même en sacrifice, prêtre et victime).

II – Données du Nouveau Testament

Nous les avons déjà énumérées dans la première communication. Nous y revenons sous une autre forme. Les évangélistes accumulent les qualificatifs pour Jésus ; parmi ceux-ci, il y a celui de prophète, par exemple Luc, 7,37 ; 13,33 ou Marc 21,11. Bien qu’elle lui soit infligée de manière dérisoire, Jésus ne refuse pas la qualification de roi au moment de la passion (dialogue avec Pilate, Jean 18,37 et dérision des soldats : Matthieu 26,27-30). Ceci est d’ailleurs inclus dans le titre de Fils de David, que Jésus n’accepte d’ailleurs qu’au moment de la Passion, lorsque les perspectives d’une royauté temporelle sont bien écartées. Mais la référence la plus forte à l’action royale est l’allégorie du berger, reprise de l’AT où elle est fortement royale (choix de David, Psaume 22). Quant au caractère sacerdotal de Jésus, s’il n’est jamais attribué avec ce mot à Jésus, il est sous-entendu dans la prière de Jean 19, nommée à juste titre sacerdotale.
Comme nous l’avons expliqué, le sacerdoce va rejaillir d’abord sur l’ensemble des croyants :
Approchez-vous de lui (le Christ), la pierre vivante, rejetée par les hommes, mais choisie, précieuse auprès de Dieu. Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ. Car il y a dans l’Écriture : Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et celui qui se confie en elle ne sera pas confondu. À vous donc, les croyants, l’honneur, mais pour les incrédules, la pierre qu’ont rejetée les constructeurs, celle-là est devenue la tête de l’angle, une pierre d’achoppement et un rocher qui fait tomber. Ils s’y heurtent parce qu’ils ne croient pas à la Parole ; c’est bien à cela qu’ils ont été destinés. Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, (1 Pierre 2,4-10)
Ceux qui croient au Christ doivent participer à son sacerdoce, d’une part par l’offrande de leur vie (Romains 12,1), mais aussi par la proclamation de l’œuvre de salut. C’est sur ce point que la lettre de Pierre élargit la citation du livre de l’Exode, où cette ouverture à l’annonce du salut n’est pas présente.
La même citation est incluse dans la présentation du peuple des élus, en Apocalypse 1,6 : les croyants forment une Royauté de prêtres, c’est-à-dire un peuple qui glorifie l’Agneau vainqueur (culte), qui dirige les nations vers Dieu (royauté), en annonçant l’œuvre de Dieu (parole).

Qu’en est-il pour les ministres de la Nouvelle Alliance que Jésus institue ? Il vont recevoir cette triple mission. De manière évidente, ils devront exercer le prophétisme par la parole, Jésus les envoie en mission, d’abord pendant le ministère public (Luc 9,1-2) puis lors des apparitions pascales (Matthieu 28,19). À leur demande sur leur récompense, Jésus répond de manière imagée par :
En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël. (Matthieu 19,28)
Juger est la fonction royale par excellence. Elle leur est confiée dès cette terre, par exemple avec le pouvoir de remettre les péchés (Jean 20,22). À Pierre en particulier il confie le devoir d’être le berger des agneaux (Jean 21,15). Enfin, notre analyse du lavement des pieds nous y a fait découvrir leur consécration comme prêtres avec le Christ.

III – Dans la Tradition

Les Pères de l’Église ont laissé trois grands traité sur le sacerdoce : De fuga, de saint Grégoire de Nazianze, De cura pastorali, de saint Grégoire le Grand, et le Dialogue sur le sacerdoce de saint Jean Chrysostome. Disons quelques mots de celui-ci.
Sous la fiction d’un dialogue avec son ami Basile, Jean Chrysostome énumère toutes les raisons qui l’ont poussé à refuser le sacerdoce, alors qu’il y a entraîné son ami. Cela lui permet d’exposer les qualités requises. Nous y trouvons aussi un tableau du clergé et des fidèles du 4° siècle qui ne manque pas de piquant. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer cette page sur les intrigues des femmes.
Tels sont les monstres, et bien d’autres encore, qui vivent à l’ombre du sanctuaire. Une fois entre leurs griffes, on en devient inévitablement l’esclave au point de se porter souvent, pour plaire à des femmes, aux plus honteux abaissements. La loi divine les écarte du sanctuaire, il est vrai, elles n’en essaient pas moins de s’y ingérer ; et ce qu’elles ne peuvent faire d’elles-mêmes, elles l’obtiennent par d’autres. Leur domination va si loin, qu’elles font nommer ou déplacer à leur gré les ministres des autels ; enfin elles bouleversent tout, et l’on voit là se réaliser l’adage populaire : Les sujets mènent leurs chefs. Si du moins on n’avait à gémir que de l’usurpation des hommes ! mais, comble du scandale, ce sont des femmes, qui n’ont pas même le droit de prêcher ! que dis-je, prêcher ? Saint Paul leur interdit même la parole dans l’Eglise ! Et on en a vu gourmander les chefs des Églises, et les traiter avec plus de hauteur que des maîtres leurs propres esclaves. Au reste, je ne prétends pas ici faire le procès de tous les ministres de l’Église. Il y a dans ce corps plusieurs membres, et c’est même le plus grand nombre, qui ont su garder l’indépendance du sacerdoce. (Livre 3, § 9)
Le sacerdoce est vu dans toute sa grandeur.
Si l’on considère que c’est un homme encore pétri de chair et de sang, qui touche de si près cette nature bienheureuse et immortelle, alors, on comprendra quelle est la dignité dont la grâce de l’Esprit Saint a honoré le prêtre. (Livre 3, § 5)
La part belle est faite à la prédication pour laquelle il faut travailler pour gagner l’auditoire par son éloquence, mais sans rechercher une vaine gloire (la hantise de saint Jean Chrysostome !). Mais, il est aussi abondant sur les rencontres individuelles, ce qu’il appelle la direction des veuves et des vierges ainsi que les visites à domicile. Il reprend à son compte l’exigence de diriger le troupeau où il voit une preuve de l’amour que le prêtre doit porter au Christ :
Que peut-on concevoir de plus avantageux que le droit d’exercer des fonctions qui, selon la parole du Christ, font reconnaître l’amour que nous lui portons ? S’adressant au chef des Apôtres : Pierre, dit-il, m’aimes-tu – Oui, Seigneur – Si tu m’aimes, fais paître mes agneaux. Le Maître interroge le disciple s’il l’aime, non pour apprendre quelque chose, lui qui pénètre tous les cœurs ; mais pour nous faire sentir tout le prix qu’il attache à la conduite de son troupeau. (Livre 2, § 1)
Sur ce rôle de gouvernement, il a une page étonnante, où, dans le style de l’époque il met en scène toutes les difficultés de gouverner un grand peuple, en rappelant que, pour le peuple de l’Alliance, Dieu a été chercher un humble berger, David (Livre 6, § 12).
Les trois aspects du ministère y sont bien présents.

Le Moyen-âge a connu deux difficultés. D’abord, une certaine valorisation du culte au détriment de la prédication. Souvent, il n’y avait pas de prédication. Pour que le peuple puisse s’y associer, on inventa les prières du prône, en langue du peuple et non en latin, où se mélangeaient annonces, intentions de prière, spécialement pour les défunts, et parfois lecture de l’évangile avec un court commentaire. Les évêques se réservaient parfois ce rôle, parfois aussi le déléguait, mais le peuple restait peu instruit. Saint François d’Assise a obtenu de justesse le droit de prêcher, mais seulement la pénitence, et non un enseignement suivi. Ceci n’a guère duré car très vite ces ordres (les franciscains et les dominicains = frères prêcheurs) qu’on a nommé mendiants se sont mués en prédicateurs acharnés, à tel point que les églises qu’ils ont fait bâtir étaient conçues pour la prédication : une grande nef, et non un chœur entouré d’un déambulatoire pour les processions ( À Florence, comparez le Dôme et Santa Croce).
En réponse à la perspective exclusive du ministère de la Parole mise en avant pas la Réforme luthérienne, l’Église catholique insista sur la nécessité du sermon, qui devint une institution. Celui-ci était donné bien souvent en dehors de la messe. Au grand siècle on allait au sermon qui durait « cinq quarts d’heure » !
L’autre difficulté a été dans la saisie du gouvernement des communautés par des laïcs. C’étaient souvent des seigneurs, ou des confréries qui étaient curés, au sens technique du terme, c’est-à-dire qui présidaient à l’organisation de la vie paroissiale. Ceci n’a vraiment été enrayé que par le droit canon de 1983 qui stipule que le curé doit être revêtu du caractère sacerdotal. Au niveau de l’ensemble de l’Église, cela a pris la forme de la querelle des Investitures (11° et 12° siècle).
Il y a donc eu un combat permanent pour que soit maintenu le lien intrinsèque des trois aspects du ministère sacerdotal et épiscopal.

V – Réflexion théologique

* Lien du « munus triplex » avec le Christ.

Nous avons déjà effleuré ce problème en étudiant les données bibliques.
Jésus en choisissant les ministres de la Nouvelle Alliance veut leur faire partager sa propre mission : « Comme le Père m’a envoyé, mois aussi je vous envoie. » Cette mission se décline selon toutes les activités du Christ pendant sa vie terrestre. Ce qui apparaît en première lecture des Évangiles, c’est sa prédication. Sa vie publique a été celle d’un rabbi, prédicateur ambulant. Il partage ce rôle en envoyant les Apôtres en mission. Cette prédication de Jésus est liée au souci pastoral : « Les foules étaient comme des brebis sans berger ; alors, il se mit à les instruire longuement .» Le rôle de berger, de pasteur va être thématisé par saint Jean au chapitre 10 : reprenant l’allégorie développée par Ézékiel au chapitre 34, il présente Jésus comme la porte, celui par lequel on entre dans le Royaume, puis comme le berger qui guide et qui nourrit. Avec la comparaison des mercenaires, on passe au pluriel, c’est-à-dire qu’il invite ceux auxquels il va confier ce rôle de ne pas les imiter, mais d’imiter son dévouement et son enseignement (Entendre sa voix). Cette perspective se conclut par la consigne donnée trois fois à Pierre, dans le cadre de sa triple profession d’amour : « Sois le berger de mes agneaux .» Si nous avons remarqué que les évangélistes évitent soigneusement le vocabulaire sacerdotal, nous avons vu la présence d’une attitude sacerdotale, tant pour le Christ lui-même : « Je me consacre moi-même » qui se présente ne plus comme le prêtre et la victime, que pour ceux qu’il va entraîner dans le même sens : « Sinon, tu n’auras pas de part avec moi .»
Ajoutons que le Christ s’est beaucoup occupé des malades et des pauvres. Le prêtre dans sa charge de berger aura aussi à cœur de s’occuper de ceux qui sont dans cette situation.

* Importance du lien entre ces trois charges.

Si le ministre de la Nouvelle Alliance veut être un signe vivant du Christ. Il lui est bon d’épouser l’éventail entier de ces activités. La médiation sacerdotale ne peut s’épanouir que dans la conjugaison de ces trois charges. Certes, des dominantes peuvent être perçues dans tel ou tel type de prêtre, mais la bonne compréhension du rôle du prêtre doit passer par le lien profond qu’on s’efforcera de maintenir entre elles.
Tentons la preuve par la négative en regardant ce que serait une conception du ministère sacerdotal qui n’envisagerait qu’une de ces trois charges.

¤ Celui qui ne viserait que le ministère de la parole, même sous ses formes variées que nous avons esquissées dans l’introduction, sans mettre en œuvre son lien avec le culte et la gouvernance du peuple de Dieu, risquerait de réduire son rôle de prêtre au seul enseignement. Celui-ci n’est certes pas à négliger. Si Dieu a voulu nous faire connaître ce qu’il a fait pour nous et par là ce qu’il est en lui-même, il est du devoir du ministre du Christ de faire grandir cette connaissance. Mais, selon les mots même du Christ, elle doit conduire à la rencontre personnelle du Christ : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi et celui que tu as envoyé, Jésus Christ .» Et cette rencontre s’épanouit tant dans la prière et le culte que dans la vie fraternelle en Église.

¤ Le danger de cette dissociation n’est pas moindre dans le domaine cultuel et liturgique. Certes, le prêtre est l’homme de l’eucharistie et de la prière. Mais nous constatons, de la structure même de la prière liturgique que les deux autres aspects doivent être présents. L’Église a toujours maintenu qu’il ne peut y avoir de liturgie eucharistique sans liturgie de la Parole, même si on a récemment découvert le bienfait de liturgie de la Parole toute seule et qu’elle est proposée dans tous les sacrements, et même pour les funérailles chrétiennes. Cela prend aussi la forme d’une insistance sur la nécessité de commenter l’Évangile. Celle-ci veut souligner la double référence au Christ Parole et au Christ nourriture. Un culte qui ne serait pas porteur d’une Parole, venue de la Parole faite chair, perdrait de sa richesse chrétienne. Pour l’eucharistie, il est bon de souligner que le prêtre rassemble le peuple et préside la célébration en tant que représentant le Christ Tête. Si on énumère les autres sacrements, on peut y voir la place de la Parole et de la communauté ecclésiale. Même dans le sacrement de réconciliation, qui depuis le Moyen-Âge a pris une forme très individuelle (confession « auriculaire », c’est-à-dire dans l’oreille), on a récemment remis en valeur sa dimension communautaire ainsi que la nécessité de s’examiner à partir de la Parole de Dieu.
Le prêtre est celui qui présente à Dieu les prières et les demandes du peuple, et qui offre au Père le sacrifice du Christ : aspect ascendant du culte. Il est aussi celui qui explique le sens des gestes liturgiques et surtout celui qui communique les dons divins : aspect descendant, celui de la sanctification. Et on sait qu’un sacrement, geste du Christ, est indissociablement geste et parole.
¤ La charge « royale », disons plutôt pastorale, n’est pas non plus sans danger si on l’isole des deux autres. La responsabilité du peuple que le Christ confie à ses ministres doit être vécue, ainsi le Christ lui-même l’a dit et l’a fait, comme un service. De plus, et le Christ l’a fait le Jeudi saint, il doit être accompagné d’une parole : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? » Si l’autorité confiée au prêtre veut être fidèle à son étymologie, elle doit avoir pour but de faire grandir (du latin augere, augmenter) les fidèles dans la connaissance et l’amour de Dieu dans le Christ. Si les conflits sont inévitables dans la communauté chrétienne, comme dans toutes les communautés humaines, le propre du prête sera de les surmonter à la lumière de l’enseignement du Christ et par un surcroît de charité venant de lui.
Le P. de Lubac, dans un commentaire de saint Jean Chrysostome, résume ce lien indissociable entre les trois charges en disant à peu près : « Il évite le juridisme dans le gouvernement, le magistère des professeurs et la superstition dans le culte. »

Conclusion

Elle se résume dans l’anecdote suivante. Un prêtre, maintenant évêque, se plaignait des trop grandes exigences du prêtre qui l’a formé en lui disant : « Vous voudriez que nous soyons à la fois saint Thomas d’Aquin, Napoléon Bonaparte et le Curé d’Ars ! » Et le formateur de répondre : « C’est un peu forcé, mais c’est bien vu ! »

Prière de Jean-Paul 2 pour les vocations

Ô Jésus, Bon pasteur, accueille notre louange et notre humble remerciement pour toutes les vocations, que par ton Esprit tu donnes à ton Église.
Assiste les évêques, les prêtres, les missionnaires : fais qu’ils donnent l’exemple d’une vie vraiment évangélique.
Rends forts et persévérants dans leur vocation ceux qui se préparent au ministère sacré.
Marie, mère de l’Église, modèle de toute vocation, fais que de nombreux baptisés sachent entendre, encore aujourd’hui, la voix insistante de ton Fils : « Suis-moi ! » Fais qu’ils trouvent le courage de quitter leurs familles, leurs occupations, leurs espérances terrestres et suivent le Christ sur la voie qu’il leur trace. Amen.