2982-Face aux provocations - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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2982-Face aux provocations

De plus en plus de sujets d’irritation surviennent pour les chrétiens quand des minorités très idéologiques imposent leurs façons de voir de manière agressive. Faut-il pour autant réagir au quart de tour ? Signer toutes les pétitions ? Descendre dans la rue tous les quatre matins ? Au risque de brouiller le message...
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Les élèves de première, candidats au baccalauréat 2005, ont eu à répondre au cours d’une épreuve anticipée de SVT (sciences de la vie et de la terre, section L) à une question inédite : « à l’aide du document 4 dégager des arguments en faveur de l’autorisation légale de l’IVG en France. » Le document 4 ? Un article du quotidien Le Monde, truffé de syllogismes, véritable catéchisme idéologique de l’avortement légal. On ne peut imaginer argumentation plus caricaturale. Le candidat voulant réussir a dû faire ressortir que « la légalisation de l’IVG n’a pas eu d’impact démographique » puisque « une IVG ne constitue pas une naissance en moins mais une naissance reportée à plus tard dans un contexte plus favorable ».

On lui demande-là de nier l’évidence : sur les 220 000 Françaises qui recourent à l’IVG annuellement, une forte proportion – qu’il faudrait pouvoir indiquer aux candidats – achèveront ainsi définitivement leur vie féconde, pour de multiples raisons (décision de s’arrêter là, rupture du couple, infécondité liée à l’âge ou à une stérilité). L’article du Monde, reprend une analyse également contestable de l’Institut National d’Etudes Démographique (INED) qui ose résumer la question de l’IVG au « passage d’un modèle de maternité sous contrainte à celui de maternité choisie ». L’INED peut-il méconnaître l’expérience de tant de femmes qui subissent des pressions, en particulier de leur compagnon, pour qu’elles renoncent à une maternité pourtant désirée ? Sans compter toutes celles qui confient secrètement leur regret…
Demander aux candidats bacheliers de soutenir une position idéologique sur les avantages de l’IVG, sans la moindre critique, c’est passer sous silence le fait que 86% des femmes considèrent que « l’IVG a des conséquences psychologiques difficiles à vivre » (sondage BVA réalisé auprès de 1000 femmes en janvier 2005). Et comment affirmer que « depuis trente ans, le nombre d’enfants souhaités par les Français est inchangé » sans préciser qu’il existe toujours un fort désir d’enfant non satisfait comme le confirme un sondage Sofres de juin 2005). Bref pour les esprits ayant le sens de la vérité, rarement un tel examen aura à ce point mérité son nom d’épreuve.

L’Alliance pour les droits de la vie a demandé au Ministre de l’Education nationale son annulation « au nom de la rupture d’un principe d’égalité entre les candidats et de leur droit à la liberté de conscience ». Car, explique l’association présidée par Xavier Mirabel, dans son communiqué, un élève « ayant une expérience ou des convictions personnelles contraires aux allégations de l’article était contraint, soit de se laisser imposer l’autre sujet (sans véritable possibilité de choix), soit de rendre une copie exprimant des opinions opposées à ses convictions. »

L’indignation vient à nouveau des chrétiens. Elle risque fort de devenir chez eux un sentiment permanent. Depuis quelque temps, les catholiques français en particulier ne manquent pas de motifs de se sentir brimés : engagement de la France contre toute mention d’un héritage chrétien dans la Constitution européenne, caricature outrageante de Benoît XVI par les guignols de l’info sur Canal +, refus par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) d’accorder une licence de télévision numérique à la chaîne KTO, irruption d’Act-up dans la cathédrale Notre Dame de Paris accompagné d’équipes de télévision et de radio publiques… et jusqu’à ce sujet de bac demandant aux candidats de faire l’apologie de l’avortement légal sans possibilité de faire valoir des arguments contraires.

Beaucoup de chrétiens ont le sentiment d’être devenus la cible privilégiée d’une culture dominante. Un récent sondage effectué dans dix pays à propos du sentiment religieux n’est pas fait pour les rassurer. 85 % des Français « s’opposent à ce que l’institution religieuse cherche à influencer les décisions du gouvernement », et c’est en France que ce score est le plus élevé ! Avec pareille exception, voilà la petite minorité des convaincus tentés par le repli identitaire qui marque toute société qui n’offre plus à ses membres des repères sécurisants.

Cette tendance s’observe actuellement sur Internet, lieu privilégié des communautés d’idées et des mouvements d’humeur. Ces derniers se répandent comme une traînée de poudre, donnant à chacun l’occasion de « réagir » : signer une pétition, rédiger un « blogue » sur un enjeu précis, alerter son carnet d’adresses… La vitesse avec laquelle les nouvelles se propagent de manière répétitive et les listes de pétitionnaires s’allongeant, donnent peut-être l’impression de l’efficacité. Mais ces réactions risquent fort de rebondir en circuit fermé sur les portes verrouillées de la « communauté ». Et même lorsque ces protestations rejoignent les médias ou les élus, le ton agressif et l’argumentation vraiment maladroite de certaines peut renforcer l’idée que l’Eglise est l’ennemie de la liberté au risque de l’exclure davantage encore du débat.

C’est pourquoi la capacité qu’ont les chrétiens à se mettre en colère lorsqu’ils sont confrontés à un monde qui les agresse aussi ouvertement est observée avec circonspection par leurs pasteurs. Lors du lancement public du « Lexique », version française d’un livre édité (chez Pierre-Téqui) par le Conseil pontifical pour la famille (cf France Catholique n°2980 du 10 juin, page 19) afin d’expliciter les malentendus – ou manipulations – concernant le langage qui entraînent une forme d’incommunicabilité entre l’Eglise et la société civile, l’archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, a pointé le risque que les catholiques se retrouvent bientôt en situation de ne pouvoir parler et se comprendre qu’entre eux.

Avec le sourire paisible qui marque sa façon de communiquer, il s’adressait peut-être moins aux journalistes présents ou à la poignée de sénateurs venus assister avec surprise au lancement d’un document de l’Eglise au sein même de leur assemblée, qu’aux nombreuses personnalités chrétiennes réunies dans la salle du Sénat réservée pour cette occasion. La constitution d’un ghetto d’initiés partageant un même sentiment d’ulcération vis-à-vis des mensonges voire des persécutions dont il est la victime est aux antipodes d’un véritable esprit d’évangélisation. La fécondité des missionnaires n’a jamais eu rien à voir avec la « victimisation », technique qui fonde l’existence et toute la stratégie violente et haineuse d’Act up. Le message chrétien incite tout au contraire à rompre le cycle de la violence, de la haine et de la division.

Le réveil de la conscience communautaire de la partie la plus engagée des chrétiens est certes salutaire dans la mesure où leur silence cautionnerait l’étouffement de leur message. Mais celui-ci n’est pas un outil de défense des intérêts communs : il ne peut rayonner par des subites bouffées de fièvre, des agacements identitaires successifs… et toujours passagers.

On ne le répétera jamais assez : seul un engagement quotidien au service des personnes, au prix du don de soi, peut justifier une parole de vérité et la faire rayonner.

Trugdual DERVILLE