2978-L'urgence de consoler - France Catholique

2978-L’urgence de consoler

2978-L’urgence de consoler

Dans son récent livre "Le bonheur blessé", Tugdual Derville, Délégué général de l’Alliance pour les Droits de la Vie, témoigne de l’urgence pour notre pays d’accueillir le message du respect de la vie, inlassablement porté par Jean-Paul II et tout naturellement repris par Benoît XVI.
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Tugdual Derville, 43 ans, a fondé un mouvement d’accueil d’enfants handicapés, A Bras Ouverts, et travaillé pour une association d’aide
aux personnes âgées avant de devenir consultant dans le domaine médico-social. Depuis 1994, il dirige l’Alliance pour les Droits de la Vie, association qui agit pour le respect de la dignité humaine, particulièrement des plus vulnérables. C’est dans ce cadre qu’il reçoit de nombreux témoignages sur l’avortement, le handicap, la fin de vie… Licencié en droit, diplômé de Sciences-po Paris et de l’Essec, il est marié et père de famille.

n “Le Bonheur blessé” : quel est le sens d’un tel titre ?

Il y a là un cri d’alarme et aussi un message d’espérance. Le cri d’alarme est lié aux très nombreuses rencontres que j’ai faites dans le cadre de l’Alliance pour les Droits de la Vie : des femmes enceintes en difficulté, d’autres qui avaient malheureusement déjà subi un ou plusieurs avortements, des soignants complètement déboussolés en raison des lois qui ne reconnaissent plus le respect de la vie et de campagnes médiatiques qui nomment bien le mal et mal le bien… J’ai progressivement touché du doigt combien notre société était désormais blessée, en profondeur, parce que Jean-Paul II a osé nommer  » culture de mort « . La simple constatation du nombre de ces atteintes à la vie réalisées au sein même des familles de notre pays, avec l’aval plus ou moins conscient des parents – en ce qui concerne les enfants à naître – ou des enfants – en ce qui concerne les parents âgés – dessine une société qui ne peut pas se sentir en paix. Même si elle ne se voit pas, cette guerre contre la vie a des conséquences incalculables. Nous en sommes tous, d’une façon ou d’une autre, victimes ; nous l’avons tous plus ou moins cautionnée.

Mais j’espère que mon livre est tout sauf désespéré. Car la vie reste plus forte que la mort. C’est un paradoxe humain, mais c’est aussi l’extraordinaire logique de l’Evangile. Jean-Paul II dit ainsi aux femmes qui ont subi l’avortement et qui ont l’impression de quelque chose d’irréparable : « rien n’est perdu » ! (Evangile de la vie n°99). Il s’agit donc de participer à une grande prise de conscience pour contribuer à nous libérer de cet esclavage de la mort, de ses engrenages dans lesquels les plus faibles sont progressivement broyés, un peu comme les Hébreux ont su s’arracher à l’oppression qui les écrasait en Egypte. Aujourd’hui, nous avons tout d’un peuple d’esclaves.

n Pendant les dix premiers chapitres, vous ne faites pourtant pas référence à la dimension spirituelle : est-ce délibéré ?

C’est une contrainte que je me suis imposé grâce aux conseils de mon éditeur. Ce livre est destiné au grand public autant qu’aux chrétiens. Nous savons tous combien il est difficile de sortir de la confusion entre les arguments spirituels et les arguments humanitaires à propos du respect de la vie. Face à un journaliste qui affirmait ne pas vouloir imposer sa foi en s’opposant à l’avortement, j’ai entendu, l’an dernier, le cardinal Poupard rétorquer : « mais cela n’a rien à voir. La raison et la justice suffisent ! » Et, effectivement, beaucoup de chrétiens ignorent que l’interdit du meurtre est inscrit dans le cœur de l’homme, naturellement. En lisant l’Evangile de la vie, qui est un texte à la fois facile et lumineux, on découvre que, s’il y a de belles méditations spirituelles à propos de la difficulté qu’ont les hommes à accueillir et propager un commandement essentiel à notre bonheur, les arguments raisonnables suffisent à démontrer le caractère inviolable de toute vie humaine. Dans les premiers chapitres, j’ai donc essayé de faire comprendre, en m’appuyant sur la multiplicité des évolutions techniques qui sont apparues depuis quelques dizaines d’années, tout ce qui peut aujourd’hui rendre moins évident, voire héroïque, l’accueil et le respect de toute vie.

n Vous explicitez même que c’est notre quête de bonheur qui peut faire de nous des meurtriers !

Oui, mais cette recherche est fondée sur une conception faussée du bonheur : le culte de la dépendance, de l’apparence, de la toute puissance, dont le paroxysme est sans doute la déconnexion totale entre sexualité et procréation, voire entre sexualité et relation. Tout cela dessine un contexte d’une grande violence dans lequel beaucoup se perdent.

n Votre livre fourmille de témoignages souvent poignants, notamment de femmes qui ont vécu l’avortement. Comment se fait-il que cette réalité soit si peu connue ?

Il y a ce que je nomme les larmes interdites, ces peines si profondes mais si déniées qu’on ne s’autorise pas à les exprimer, qu’on s’interdit même de les ressentir. Il m’est souvent arrivé, simplement par l’écoute, de permettre à ces larmes de s’épancher ; elles deviennent alors consolatrices. Si ces femmes ou ces hommes blessés par l’avortement ne l’expriment pas, c’est aussi parce qu’il s’agit de quelque chose de très intime à ne pas jeter en pâture à des observateurs extérieurs qui les jugeraient. Plusieurs personnes m’ont ainsi demandé d’être le témoin de leurs souffrances : elles souhaitent éviter à d’autres de les endurer mais elles ne peuvent se dévoiler elles-mêmes à cause de leur environnement familial. Il faut ajouter, car il ne s’agit pas d’être naïf, que des forces considérables, de mensonge et d’oppression, étouffent aujourd’hui ces cris. Je cite l’exemple d’un gynécologue auquel j’étais confronté sur un plateau de télévision me prétendant que les femmes qui regrettaient leur avortement étaient « des femmes névrosées qui regretteraient toujours quelque chose » !

n Vous faites une place importante à la question du respect de la vie des personnes handicapées. Pourquoi ?

Parce ce qu’elle me parait emblématique de toute notre organisation sociale qui est devenue totalitaire. Il y a presque un interdit qui pèse sur la naissance de bébés dont on aurait décelé le handicap. La France détient le record du monde de l’eugénisme anténatal. L’amniocentèse est utilisée dans des proportions effrayantes malgré ses conséquences dramatiques, non seulement sur les bébés dont elle décèle un handicap, mais aussi sur tous les nouveau-nés dont elle aura validé la « conformité ». Car notre système de surveillance des grossesses est intrinsèquement anxiogène : il incite la plupart des parents à n’aimer leurs enfants que « sous condition ». Les conséquences de cette dérive sur notre culture sont considérables ; et il ne faut s’étonner du stress et de la violence qui envahissent les générations nouvelles. Sans compter que, de façon complètement contradictoire (si ce n’est à cause de la toute puissance prométhéenne qui s’est emparée de notre société), les méthodes les plus artificielles de procréation conduisent à la naissance d’un plus grand nombre d’enfants handicapés qu’autrefois. .

n Avec un pareil tableau, auquel il faudrait ajouter les révélations que vous faites sur l’affaire Humbert, avec une relecture très originale de ce drame, n’y a-t-il pas de quoi baisser les bras ?

Certainement pas. Bien sûr, nos actions d’interpellation des décideurs sur ces sujets sont difficiles. Beaucoup sont tétanisés. Et même des élus chrétiens nous ont fermé la porte. Mais rien ne peut durablement étouffer le cri des pauvres. Ce sont les femmes qui ont été victimes de l’avortement qui seront, le moment venu, les plus belles ambassadrices de la vie. A l’Alliance pour les Droits de la Vie, nous travaillons de plus en plus avec des personnes ainsi concernées. Et ce qui me frappe souvent, c’est leur joie et leur détermination. La blessure ouverte en elles demeure, mais elle a fait naître une soif, soif de vérité et de consolation. C’est le fruit de ce que Jean-Paul II nomme  » le mystère paradoxal de la justice miséricordieuse de Dieu « . L’urgence est à la consolation.

propos recueillis par Frédéric Aimard